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🖋 Autoportrait de travailleur social ‱ Christophe Ferreira, cadre Ă©ducatif sur un secteur de pĂ©dopsychiatrie, dans les Hauts-de-Seine.

« J’exerce dans le social pour que les choses injustes mais parfois considĂ©rĂ©es comme " Ă©videntes" hier, ne le soient plus forcĂ©ment demain »



Quel mot associez-vous spontanĂ©ment au travail social ?

L’engagement. Je me souviens de mon tout premier jour dans le social. C’était dans une maison d’enfants Ă  caractĂšre social (MECS), en 1996. Une phrase prononcĂ©e par un Ă©ducateur ce jour-lĂ  m’avait marquĂ© : « Dans ce mĂ©tier, l’important c’est de rentrer chez soi en laissant les problĂšmes au travail ». J’ai rapidement rĂ©alisĂ© que ce raisonnement Ă©tait
 absurde. À mon sens, nous choisissons le social car c’est une vocation, un engagement, pas un mĂ©tier pour lequel on se « contente » de travailler 8 heures par jour. Bien entendu, il ne s’agit pas de vivre constamment en pensant au travail. Mais les valeurs et les espoirs qui m’ont fait devenir Ă©ducateur sont les mĂȘmes que ceux que je porte en tant qu’homme, les mĂȘmes que je tente de transmettre Ă  ma fille. À mes yeux, ĂȘtre Ă©ducateur, c’est d’abord et avant tout s’engager en tant qu’humain. Socialement et professionnellement, ce sont mes diplĂŽmes qui me qualifient d’éducateur mais intellectuellement et spirituellement, je suis un citoyen embarquĂ© dans son Ă©poque, qui ne se pose pas la question de « compartimenter » sa profession et son existence.


Pour quelles raisons avez-vous choisi votre mĂ©tier ?

À 18 ans, j’ai effectuĂ© mon service militaire dans la Police, dans un commissariat de la banlieue parisienne. On oublie parfois que la Police, au mĂȘme titre que les pompiers et le SAMU, est en « premiĂšre ligne » face Ă  la misĂšre sociale et humaine : violences, prĂ©caritĂ©, addictions, marginalisation etc. J’en suis sorti avec une question : « Vais-je rester sans agir aprĂšs avoir vu ce que j’ai vu, vĂ©cu de ce que j’ai vĂ©cu ? ». Il Ă©tait devenu Ă©vident que je ne pouvais rester passif, sans rĂ©action.


Quelles formations avez-vous suivies ?

Ayant stoppĂ© mes Ă©tudes Ă  16 ans, n’y trouvant ni sens ni intĂ©rĂȘt, je suis passĂ© par la formation de moniteur-Ă©ducateur (2000), puis d’éducateur spĂ©cialisĂ© (2003). En 2005, j’ai entrepris une Licence (Sorbonne) puis un Master (Paris 8-Saint Denis) en sciences de l’éducation. J’ai obtenu le CAFERUIS en 2019.


Quel est votre meilleur souvenir professionnel ?

Il se situe au sein de mon activitĂ© de formateur auprĂšs de moniteurs-Ă©ducateurs Ă  l’EPSS de Cergy (Val d’Oise). Il y a quelques annĂ©es, l’un de mes Ă©tudiants, Thomas, en stage en Espace dynamique insertion (EDI), avait accueilli un jeune qui se retrouvait Ă  la rue. Ce dernier avait faim. SpontanĂ©ment, Thomas Ă©tait allĂ© lui acheter Ă  manger. Ses collĂšgues avaient trĂšs mal rĂ©agi, estimant que nourrir un jeune ne faisait pas « partie de leurs missions ». Thomas, jeune homme de grande humanitĂ©, m’a alors expliquĂ© vouloir tout arrĂȘter. Lui qui pensait trouver dans le social des valeurs qu’il n’avait pas trouvĂ©es ailleurs, Ă©tait abattu de constater que, dans notre milieu, donner Ă  manger Ă  un jeune Ă  la rue ne coulait pas de source. Je lui ai dit : « Si tu veux tout arrĂȘter, libre Ă  toi, mais donne-toi un peu de temps et sois patient
parfois les effets de nos actes prennent du temps ». Le mois suivant, il est revenu en m’expliquant que l’équipe avait rĂ©flĂ©chi et avait dĂ©cidĂ© que, dĂ©sormais, un budget serait prĂ©vu pour l’achat de nourriture
 C’est pour cela que j’exerce dans le social : pour que les choses injustes mais parfois considĂ©rĂ©es comme « Ă©videntes » hier, ne le soient plus forcĂ©ment demain. Ce n’est pas pour rien que l’acte Ă©ducatif est au centre de notre pratique. C’est en Ɠuvrant que l’on fait changer le cours des choses. Evidemment, nous sommes tous une goutte d’eau dans un ocĂ©an
 mais nous faisons tous partie de ce mĂȘme ocĂ©an.


Le pire ?

Ma formation de cadre. Le CAFERUIS est gangrĂ©nĂ© par le principe libĂ©ral. Toute l’histoire de l’éducation spĂ©cialisĂ©e (issue des LumiĂšres mais Ă©galement de l’esprit de la RĂ©sistance durant la Seconde Guerre mondiale) est en train d’ĂȘtre dilapidĂ©e pour faire place neuve Ă  la rentabilitĂ©, Ă  la « rationalitĂ© » organisationnelle, Ă  la dĂ©shumanisation. Les travailleurs sociaux, cadres ou non, sont en train de devenir des « techniciens ». On leur apprend Ă  exĂ©cuter des tĂąches avec mĂ©thode et de maniĂšre appliquĂ©e. Mais je souhaite alerter les jeunes professionnels : ne vous trompez pas, ne vous laissez pas tromper ; le travailleur social est, bien entendu, un praticien, mais il est d’abord et avant tout un ĂȘtre pensant. Pour lutter contre ce mouvement de dissipation de l’hĂ©ritage de l’éducation spĂ©cialisĂ©e, il nous faut maintenir l’esprit critique qui est le nĂŽtre, afin de penser nos actions et acter nos pensĂ©es.


Quel est votre livre de chevet ?

« La misĂšre du monde » de Pierre Bourdieu (Éd. du Seuil, 1993). C’est un livre mastodonte (950 pages dans l’édition originale) mais qui se lit par petites touches, en prenant son temps. Il met en lumiĂšre, en leur donnant la parole, les innombrables acteurs de la sociĂ©tĂ© : ouvriers, employĂ©s, travailleurs sociaux, marginaux, paysans, enseignants
 Il analyse les conditions et les mĂ©canismes de la production de la misĂšre sociale et culturelle. Un ouvrage majeur.



Retrouvez les précédents autoportraits

🖋 Murielle A., Ă©ducatrice spĂ©cialisĂ©e en centre d’hĂ©bergement et de rĂ©insertion sociale (CHRS)

🖋 Thierry Trontin, co-gĂ©rant de la SCOP Voyageurs-Éducateurs et d’un lieu de vie et d’accueil

🖋 Laurence, rĂ©fĂ©rente de parcours du Programme de rĂ©ussite Ă©ducative

🖋 Romain Dutter, ex-coordinateur culturel au centre pĂ©nitentiaire de Fresnes

🖋 Yazid Kherfi, mĂ©diateur tout terrain

🖋 Claude, assistante de service social en polyvalence de secteur

🖋 Patrick Norynberg, formateur consultant en politique publique, cofondateur et prĂ©sident de la RĂ©gie de quartier du Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis)

🖋 Émilie Philippe, Ă©ducatrice de jeunes enfants, membre du collectif Pas de bĂ©bĂ©s Ă  la consigne depuis sa crĂ©ation en 2009.

🖋 Florent GuĂ©guen, directeur de la FĂ©dĂ©ration des acteurs de la solidaritĂ© (FAS)

🖋 LĂ©a Turchi, assistante de service social, coordinatrice Ă  la mission interface au Samusocial de Paris

🖋 Sadek Deghima, chef de service d’un club de prĂ©vention spĂ©cialisĂ©e

🖋 Lucile Bourgain, monitrice-Ă©ducatrice

🖋 Tristan Montaclair-Le Foulgoc, Ă©ducateur de jeunes enfants qui travaille avec des adolescents

🖋 Cristel Choffel, conseillĂšre technique de service social

🖋 Driss Blal, Ă©ducateur spĂ©cialisĂ©, chef de projet au cƓur d’un dispositif mis en place par un collectif d’habitants originaires du quartier populaire oĂč il a grandi Tarbes (Hautes-PyrĂ©nĂ©es)

🖋 Laure, assistante de service social en service spĂ©cialisĂ© « Familles »

🖋 Vince, l’éduc spĂ©cial, agitateur spĂ©cialisĂ©, dessinateur, chroniqueur, auteur, et accessoirement chef de service Ă©ducatif...

🖋 Julie (1), 33 ans, cheffe de service dans une structure accompagnant des mineurs isolĂ©s Ă©trangers

🖋 Carlos Lopez, Ă©ducateur Ă  la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) depuis 1999

🖋 Charline Olivier, intervenante sociale en gendarmerie

🖋 Antonio ArgĂŒelles BalletbĂł, Ă©ducateur dans un centre rĂ©sidentiel d’action Ă©ducative (1) des Filles de la CharitĂ©, Fondation sociale Ă  Barcelone (Espagne)

🖋 Sylvie Kowalczuk assistante de service social en polyvalence, formatrice occasionnelle, auteur

🖋 FrĂ©dĂ©ric Maignan, formateur indĂ©pendant en travail social

🖋 Émilie Mocellin, Ă©ducatrice spĂ©cialisĂ©e indĂ©pendante

🖋 Vivien Laplane, Ă©ducateur spĂ©cialisĂ©, auteur, confĂ©rencier, bloggeur, et accessoirement sourd appareillĂ© oralisant

🖋 Sophie Gaillard, secrĂ©taire mĂ©dico-sociale dans deux services d’éducation et de soins spĂ©cialisĂ©s Ă  domicile (Sessad) en rĂ©gion PACA

🖋 Jean-Marie Vauchez, Ă©ducateur spĂ©cialisĂ© et formateur, membre du Haut conseil du travail social (HCTS)

🖋 Ingrid Romane, Ă©ducatrice en maison d’enfants Ă  caractĂšre social dans le var

🖋 Xavier Bouchereau, chef de service en protection de l’enfance et consultant indĂ©pendant

🖋 StĂ©phanie Liatard, travailleuse sociale au QuĂ©bec, Canada

🖋 JĂ©rĂŽme Beaury, directeur-adjoint auprĂšs de la Direction de l’enfance et de la famille du Calvados, en charge de l’Aide sociale Ă  l’enfance et auteur

🖋 Romane Glotain, Ă©ducatrice spĂ©cialisĂ©e et prĂ©sidente de l’association "Le Jardin des Maux’passants en Loire-Altantique. Elle promeut les jardins thĂ©rapeutiques.

🖋 Maximilien Bachelart, Docteur en psychologie et psychothĂ©rapeute, superviseur au sein d’établissements de protection de l’enfance.

🖋 Audrenne Henke, directrice d’établissement.

🖋 Kevin Louineau, Ă©ducateur spĂ©cialisĂ© en maison d’enfants Ă  caractĂšre social en Loire-Atlantique

🖋 Vincent Pallard, Ă©ducateur spĂ©cialisĂ© dans un service d’accompagnement Ă©ducatif Ă  domicile intensif dans l’Indre-et-Loire, formateur occasionnel et auteur

🖋 Linda Bali, Ă©ducatrice spĂ©cialisĂ©e en protection de l’enfance, assistante familiale au sein de l’aide sociale Ă  l’enfance.

🖋 Vincent-SosthĂšne Fouda-Essomba, chargĂ© de mission Ă  l’Espace de rĂ©flexion Ă©thique des Hauts-de-France – CHU de Lille.

🖋 VĂ©ronique Escames, auxiliaire de puĂ©riculture en crĂšche municipale dans les Yvelines


Vous ĂȘtes tentĂ©s par l’exercice d’autoportrait de travailleur social ? Vous souhaitez partager votre expĂ©rience ? N’hĂ©sitez Ă  nous contacter Ă  l’adresse suivante : katia.rouff@lien-social.com