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🖋 Autoportrait de travailleur social ‱ Antonio ArgĂŒelles BalletbĂł, Ă©ducateur dans un centre rĂ©sidentiel d’action Ă©ducative (1) des Filles de la CharitĂ©, Fondation sociale Ă  Barcelone (Espagne).

« Dans mon travail, l’accompagnement est l’eau qui Ă©tanche la soif. »


Quel mot associez-vous spontanĂ©ment au travail social ?

Accompagner (lien Ă©ducatif). Ce mot peut sembler vide de contenu mais ce n’est pas le cas. J’ai parfois du mal Ă  dĂ©crire ma profession et Ă  l’expliquer aux autres. Dans ma vie quotidienne Ă  la rĂ©sidence, des regards d’enfants et d’adolescents me laissent dĂ©semparĂ©. J’entends des vies dĂ©chirĂ©es, je touche des mains tremblantes et je perçois des Ă©motions de toutes sortes. Dans mon travail, l’accompagnement est l’eau qui Ă©tanche la soif. Nous donnons Ă  ces enfants et Ă  adolescents la possibilitĂ© d’exprimer leurs peurs, leurs colĂšres, leurs tristesses et leurs angoisses - et je ne peux que leur offrir d’ĂȘtre lĂ  avec leur souffrance. Cela semble peu, mais pour eux c’est beaucoup : la solitude est l’une de leurs vieilles connaissances.
Mon travail va au-delĂ  de ce que j’essaie d’expliquer ici, il consiste Ă  ĂȘtre lĂ . Si chaque jour que je passe avec eux, je peux les atteindre quelques minutes, ce sera une journĂ©e gagnĂ©e.


Pour quelles raisons avez-vous choisi votre mĂ©tier ?

Dans ma jeunesse - j’ai dĂ©jĂ  un certain Ăąge - j’ai fait du bĂ©nĂ©volat dans des organismes sociaux de protection de l’enfance. LĂ  j’ai commencĂ© Ă  connaĂźtre des histoires de cƓurs brisĂ©s qui erraient seuls, lĂ  j’ai commencĂ© Ă  apprendre Ă  observer comment prendre soin, comment atteindre ces enfants, comment les accompagner. Cela m’a fait rĂ©flĂ©chir. AprĂšs vingt ans de travail en tant que chimiste, j’ai compris que ma rĂ©elle vocation Ă©tait sociale. C’est lĂ  que j’ai appris Ă  lire les lueurs des yeux de nombreux enfants et adolescents, leurs lacunes et leurs vertus.
Quitter le monde de la chimie avec trois jeunes enfants ne fut pas un choix facile mais aujourd’hui je crois que c’était le bon. J’ai toujours pensĂ© que le destin offre des opportunitĂ©s qu’il faut savoir identifier.


Quelle formation avez-vous suivie ?

J’ai une formation diversifiĂ©e, mais en ce qui concerne le domaine social, je suis titulaire d’un diplĂŽme universitaire d’éducateur social de l’Universitat Oberta de Catalunya (Barcelone), j’ai suivi un cycle de formation supĂ©rieure de l’éducation de l’enfant et je bĂ©nĂ©ficie d’une accrĂ©ditation en tant qu’intĂ©grateur social Ă  l’Institut Oberta de Catalunya. J’ai Ă©galement suivi des formations en psychologie, sociologie et pĂ©dagogie rĂ©guliĂšrement proposĂ©es aux Ă©ducateurs sociaux des centres rĂ©sidentiels d’actions Ă©ducative (CRAE) par le Consortium des services sociaux de Barcelone.
Le domaine du social est trĂšs changeant et les rythmes d’adaptation qu’il rĂ©clame diffĂšrent de celui des formations. Nous parlons de rĂ©alitĂ©s que les formations acadĂ©miques peuvent difficilement montrer : on les dĂ©couvre « sur place », sur son lieu de travail. Dans « les tranchĂ©es », le professionnel se trouve dans des situations qui n’apparaissent dans aucun manuel d’éducateur. Nous Ă©ducateurs, ne finissons jamais notre formation, il y a toujours quelque chose de nouveau Ă  apprendre, le partage des connaissances avec les formateurs est fondamental pour que les futurs Ă©ducateurs puissent toucher les enfants et leurs rĂ©alitĂ©s.


Quel est votre meilleur souvenir professionnel ?

Les enfants et adolescents que nous accueillons en rĂ©sidence ont un modĂšle familial dĂ©structurĂ©, l’adaptation Ă  d’autres modĂšles et leur intĂ©gration passent par le lien Ă©tabli entre l’enfant et l’éducateur. Sans celui-ci, l’enfant reste dans une situation d’abandon et continuera Ă  souffrir de carences partout oĂč il ira.
Un jour, nous avons accueilli deux jumeaux ĂągĂ©s de 7 ans. Deux ans auparavant, ils avaient Ă©tĂ© retirĂ©s Ă  leurs parents et placĂ©s dans une rĂ©sidence. À l’ñge de six ans, ils ont Ă©tĂ© placĂ©s en famille d’accueil mais celle-ci n’a pas souhaitĂ© continuer car les conflits, la jalousie entre les deux frĂšres, au fil du temps, ont gravement affectĂ© la dynamique familiale.
Quand nous les avons accueillis, nous avons senti que le lien entre eux pouvait ĂȘtre travaillĂ© et avons refusĂ© la sĂ©paration suggĂ©rĂ©e par les rapports administratifs. Je suis devenu leur rĂ©fĂ©rent. Je reconnais qu’il n’a pas Ă©tĂ© facile de me connecter Ă  eux. Quand ils sont arrivĂ©s dans notre centre ils Ă©taient l’un pour l’autre leur seule famille, leurs parents n’étaient pas lĂ , la famille d’accueil non plus, en peu de temps les personnes importantes ont disparu de leur vie.
Au fil du temps, ici dans notre rĂ©sidence, le lien entre eux et moi s’est tissĂ©, je leur ai montrĂ© d’autres modĂšles, d’autres maniĂšres de vivre ensemble, qu’ils ont au fil du temps intĂ©grĂ©s.


Le pire ?

Dans ma rĂ©sidence il y a des jours heureux : quand l’enfant retourne au domicile familial dans de bonnes conditions et les jours dĂ©solants : quand le processus de retour en famille ne produit pas le rĂ©sultat escomptĂ©. Les services sociaux ou la famille elle-mĂȘme replacent alors l’enfant dans une rĂ©sidence, pas toujours celle qu’il a quittĂ©e s’il n’y a pas de place disponible Ă  ce moment-lĂ . Le retrait d’un enfant pour cause d’abandon familial est un enfer mais je peine Ă  exprimer par les mots ce que signifie un deuxiĂšme abandon. Ces enfants reviennent dans nos foyers touchĂ©s, tristes, dĂ©sespĂ©rĂ©s, brisĂ©s, trĂšs brisĂ©s.


Quel est votre livre de chevet ?

Frankenstein pĂ©dagogue de Philippe Meirieu (ESF Ă©diteur, 1996). C’est un livre que j’aime beaucoup. Il montre Ă  quel point les processus Ă©ducatifs peuvent ĂȘtre ambivalents et contradictoires. L’auteur utilise l’expression « fabriquer un homme et l’abandonner, c’est prendre le risque d’en faire un monstre  ». Cet ouvrage parle des contenus (connaissances, capacitĂ©s, aptitudes) pour l’acquisition des compĂ©tences, mais aussi de la pensĂ©e critique qui ne se nourrit pas seulement de contenu. C’est l’Ă©ducateur lui-mĂȘme qui acquiert un rĂŽle prĂ©pondĂ©rant dans le processus de formation de l’enfant : un Ă©ducateur peut se prĂ©senter comme un parent, un tuteur, un enseignant ou une personne influente dans la vie de l’enfant ; il ne le façonne pas, ce serait le fabriquer et l’enfant ferait preuve de rĂ©sistance, donc tout est question de rencontre.


(1) Un centre rĂ©sidentiel d’action Ă©ducative (CRAE) est un service nĂ© de la nĂ©cessitĂ© de s’occuper des enfants et des adolescents protĂ©gĂ©s par la Direction gĂ©nĂ©rale de l’attention Ă  l’enfance et Ă  l’adolescence(DGAIA). Il relĂšve du gouvernement autonome de Catalogne (Espagne). Les Ă©ducateurs sociaux y assurent un accompagnement socio-Ă©ducatif. Ils se placent aux cĂŽtĂ©s de l’enfant, lui offrent conseil et soutien, tout en les aidant Ă  mener Ă  bien leurs projets et Ă  surmonter les difficultĂ©s qu’ils doivent affronter.

Pour suivre Antonio ArgĂŒelles BalletbĂł : https://educadorsocial.wixsite.com/miradasdelalma https://linktr.ee/Antonio_Miradas_del_Alma

Retrouvez les précédents autoportraits

🖋 Murielle A., Ă©ducatrice spĂ©cialisĂ©e en centre d’hĂ©bergement et de rĂ©insertion sociale (CHRS)

🖋 Thierry Trontin, co-gĂ©rant de la SCOP Voyageurs-Éducateurs et d’un lieu de vie et d’accueil

🖋 Laurence, rĂ©fĂ©rente de parcours du Programme de rĂ©ussite Ă©ducative

🖋 Romain Dutter, ex-coordinateur culturel au centre pĂ©nitentiaire de Fresnes

🖋 Yazid Kherfi, mĂ©diateur tout terrain

🖋 Claude, assistante de service social en polyvalence de secteur

🖋 Patrick Norynberg, formateur consultant en politique publique, cofondateur et prĂ©sident de la RĂ©gie de quartier du Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis)

🖋 Émilie Philippe, Ă©ducatrice de jeunes enfants, membre du collectif Pas de bĂ©bĂ©s Ă  la consigne depuis sa crĂ©ation en 2009.

🖋 Florent GuĂ©guen, directeur de la FĂ©dĂ©ration des acteurs de la solidaritĂ© (FAS)

🖋 LĂ©a Turchi, assistante de service social, coordinatrice Ă  la mission interface au Samusocial de Paris

🖋 Sadek Deghima, chef de service d’un club de prĂ©vention spĂ©cialisĂ©e

🖋 Lucile Bourgain, monitrice-Ă©ducatrice

🖋 Tristan Montaclair-Le Foulgoc, Ă©ducateur de jeunes enfants qui travaille avec des adolescents

🖋 Cristel Choffel, conseillĂšre technique de service social

🖋 Driss Blal, Ă©ducateur spĂ©cialisĂ©, chef de projet au cƓur d’un dispositif mis en place par un collectif d’habitants originaires du quartier populaire oĂč il a grandi Tarbes (Hautes-PyrĂ©nĂ©es)

🖋 Laure, assistante de service social en service spĂ©cialisĂ© « Familles »

🖋 Vince, l’éduc spĂ©cial, agitateur spĂ©cialisĂ©, dessinateur, chroniqueur, auteur, et accessoirement chef de service Ă©ducatif...

🖋 Julie (1), 33 ans, cheffe de service dans une structure accompagnant des mineurs isolĂ©s Ă©trangers

🖋 Carlos Lopez, Ă©ducateur Ă  la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) depuis 1999

🖋 Charline Olivier, intervenante sociale en gendarmerie


Vous ĂȘtes tentĂ©s par l’exercice d’autoportrait de travailleur social ? Vous souhaitez partager votre expĂ©rience ? N’hĂ©sitez Ă  nous contacter Ă  l’adresse suivante : katia.rouff@lien-social.com