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🖋 Autoportrait de travailleur social ‱ Florent GuĂ©guen, directeur de la FĂ©dĂ©ration des acteurs de la solidaritĂ© (FAS)

Autoportrait de travailleur social. Florent Guéguen, directeur de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS).

« Mon mĂ©tier procure de multiples satisfactions mais rarement de grandes victoires
 »


Quel mot, adjectif, associez-vous spontanĂ©ment au travail social ?

L’accompagnement et le soin apportĂ© aux autres. Dans une sociĂ©tĂ© minĂ©e par les inĂ©galitĂ©s et les diffĂ©rentes formes de « sĂ©paratisme social », le travail social est cette relation humaine et professionnelle « unique » qui permet aux personnes en difficultĂ© d’accĂ©der Ă  leurs droits, de se rĂ©tablir, de reprendre confiance, d’élaborer un projet de vie. Pendant la crise sanitaire toute une partie de la population a Ă©tĂ© protĂ©gĂ©e grĂące aux soignants et aux intervenants sociaux (professionnels et bĂ©nĂ©voles) qui font vivre la solidaritĂ© au quotidien et en premiĂšre ligne. Pourtant ces mĂ©tiers n’ont toujours pas la reconnaissance nĂ©cessaire des Ă©lites et des dĂ©cideurs publics, ce qui constitue une profonde injustice. Avec la montĂ©e de la pauvretĂ© et du chĂŽmage de masse, le rĂŽle des travailleurs-euses sociaux-ales sera pourtant dĂ©cisif dans les mois Ă  venir.


Pour quelles raisons avez-vous choisi votre mĂ©tier ?

Je ne suis pas travailleur social de formation. Cependant, dans mes fonctions de directeur de la FAS, je dĂ©fends l’idĂ©e d’un droit Ă  l’accompagnement pour toutes les personnes en situation d’exclusion accueillies par les quelques huit cents associations qui composent la FĂ©dĂ©ration. DĂ©fendre le travail social et l’intervention associative constitue la raison d’ĂȘtre de la FĂ©dĂ©ration, mĂȘme si nous avons structurellement des difficultĂ©s Ă  obtenir les moyens nĂ©cessaires Ă  un accompagnement de qualitĂ© dans les structures d’hĂ©bergement soumises au rythme de l’urgence sociale plutĂŽt que de l’insertion.


Quelle formation avez-vous suivie ?

J’ai fait du Droit public jusqu’en licence puis un DEA de sciences politiques Ă  l’universitĂ© de Paris 1. GrĂące Ă  la formation continue, j’ai pu suivre un Master 2 Ă©conomie et gestion des organisations mĂ©dico-sociales Ă  Dauphine au dĂ©but des annĂ©es 2000. J’ai Ă©galement un engagement politique Ă  gauche trĂšs ancien qui a beaucoup contribuĂ© Ă  ma formation intellectuelle.


Quel est votre meilleur souvenir professionnel ?

C’est difficile de rĂ©pondre car mon mĂ©tier procure de multiples satisfactions mais rarement de grandes victoires. L’organisation par la FĂ©dĂ©ration nationale des associations d’accueil et de rĂ©insertion sociale (FNARS) (ex-FAS) des journĂ©es du travail social Ă  Valence en 2013 ou encore du congrĂšs de la FAS Ă  Dijon en 2017 rassemblant Ă  chaque fois prĂšs de neuf cents professionnels ont Ă©tĂ© des moments trĂšs intenses. Dans un autre registre, ma participation Ă  l’élaboration du plan pauvretĂ© en 2013 avec l’obtention par les associations de mesures importantes comme la revalorisation de 10 % du RSA, la crĂ©ation de la garantie jeunes ou le relĂšvement du seuil de la CMU-C ont Ă©tĂ© des moments de satisfaction. Mais les conquĂȘtes sociales restent rares dans le secteur de la lutte contre l’exclusion : elles arrivent souvent aprĂšs des pĂ©riodes de crise et d’intenses mobilisations (par exemple le mouvement des Don Quichotte en 2007 qui permettra d’obtenir le DALO et l’humanisation des centres d’hĂ©bergement).


Le pire ?

L’incendie de l’hĂŽtel social Paris OpĂ©ra en 2005, une tragĂ©die avec vingt-cinq dĂ©cĂšs dont un grand nombre d’enfants. À l’époque, je travaillais Ă  la Ville de Paris au cabinet de Bertrand DelanoĂ«, dĂ©jĂ  sur la lutte contre l’exclusion. Nous Ă©tions bouleversĂ©s par cet Ă©vĂ©nement avec un sentiment de responsabilitĂ© qui m’a donnĂ© l’envie de m’engager plus fortement pour amĂ©liorer les conditions d’hĂ©bergement des personnes et familles sans domicile fixe et la protection des plus prĂ©caires. Depuis, les contrĂŽles « sĂ©curitĂ© » dans les hĂŽtels ont Ă©tĂ© considĂ©rablement renforcĂ©s et pourtant il n’y a jamais eu autant de personnes hĂ©bergĂ©es Ă  l’hĂŽtel (60 000 nuitĂ©es en Île-de-France), ce qui constitue un Ă©chec majeur des politiques d’accĂšs au logement.


Quel est votre livre de chevet ?

‱ Les mĂ©tamorphoses de la question sociale de Robert Castel (1) (Éd. Gallimard, 1999) est un ouvrage majeur qui croise l’analyse historique et sociologique de la prise en charge des prĂ©caires et des « indigents » depuis le Moyen Âge, avec une prĂ©cision et une Ă©rudition inĂ©galĂ©es. C’est un livre unique qui, Ă  ma connaissance, n’a pas d’équivalent dans la recherche française.

J’ai Ă©tĂ© Ă©galement trĂšs influencĂ© par les travaux de Pierre Bourdieu sur la reproduction des inĂ©galitĂ©s de gĂ©nĂ©ration en gĂ©nĂ©ration et sa maniĂšre de dĂ©cortiquer les violences symboliques que subit au quotidien toute une partie de la population :
‱ La Reproduction. ÉlĂ©ments d’une thĂ©orie du systĂšme d’enseignement (Les Éditions de Minuit, 1970) et
‱ La misùre du Monde (Éd. du Seuil, 1993).

RĂ©cemment, Ă  l’occasion des 150 ans de la Commune, j’ai lu l’ouvrage de Jacques Rougerie :
‱ Paris libre 1871 (Éd. du Seuil, 1971). Cette rĂ©volution est d’une Ă©tonnante modernitĂ© avec le droit au travail, la rĂ©quisition des logements vacants, les revendications fĂ©ministes, la sĂ©paration de l’église et de l’État, la libertĂ© de la presse et des associations


Et dans un autre registre, j’aime la littĂ©rature de la gauche radicale amĂ©ricaine dans sa fonction de critique sociale du capitalisme et d’émancipation des communautĂ©s :
‱ Comprendre le pouvoir de Noam Chomsky (Éd. John Schoeffel, Peter R. Mitchell, 2002),
‱ Une histoire populaire des États-Unis de Howard Zinn (Ed. Harper & Row, 1980), y compris la version BD trùs accessible et
‱ Commonwealth de Antonio Negri et Michael Hardt (2009).



(1) Robert Castel a Ă©tĂ© le rĂ©dacteur en chef invitĂ© et le fil rouge du numĂ©ro 1000-1001 de Lien Social du 13 janvier 2011, intitulĂ© : Le travail social aujourd’hui, comment rĂ©sister ?

Retrouvez les précédents autoportraits

🖋 Murielle A., Ă©ducatrice spĂ©cialisĂ©e en centre d’hĂ©bergement et de rĂ©insertion sociale (CHRS)

🖋 Thierry Trontin, co-gĂ©rant de la SCOP Voyageurs-Éducateurs et d’un lieu de vie et d’accueil

🖋 Laurence, rĂ©fĂ©rente de parcours du Programme de rĂ©ussite Ă©ducative

🖋 Romain Dutter, ex-coordinateur culturel au centre pĂ©nitentiaire de Fresnes

🖋 Yazid Kherfi, mĂ©diateur tout terrain

🖋 Claude, assistante de service social en polyvalence de secteur

🖋 Patrick Norynberg, formateur consultant en politique publique, cofondateur et prĂ©sident de la RĂ©gie de quartier du Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis)

🖋 Émilie Philippe, Ă©ducatrice de jeunes enfants, membre du collectif Pas de bĂ©bĂ©s Ă  la consigne depuis sa crĂ©ation en 2009.


Vous ĂȘtes tentĂ©s par l’exercice d’autoportrait de travailleur social ? Vous souhaitez partager votre expĂ©rience ? N’hĂ©sitez Ă  nous contacter Ă  l’adresse suivante : katia.rouff@lien-social.com