L’Actualité de Lien Social RSS

« L’essentiel est d’avoir accès à l’autre et de donner accès à soi »

Pour moi, le travail social, c’est de la rencontre, c’est le préalable à tout. C’est pour moi le plus grand plaisir, rencontrer des jeunes, des parents, des familles. Sans rencontre, il n’y a rien de possible. Il faut prendre ce temps-là, en respectant les rythmes de chacun, dans la parole ou le silence, peu importe. L’essentiel est d’avoir accès à l’autre et de donner accès à soi. C’est à mon sens le meilleur moyen de développer par la suite une relation authentique qui permette à chacun d’être soi.

J’avais longuement hésité avec la formation d’éducateur spécialisé mais j’avais envie de découvrir le développement du jeune enfant, décisif pour la construction de l’adolescent et de l’adulte. Il s’est aussi avéré que j’avais peur du milieu spécialisé qui finalement est le chemin sur lequel je m’épanouis. J’avais peur de ce monde, peur de ne pas être à la hauteur psychiquement, de ne pas pouvoir laisser tout ça à la porte de chez moi. Finalement, on est souvent capable des choses qu’on croit insurmontables.

J’ai commencé par un BEP Carrières sanitaires et sociales, une révélation. Puis j’ai travaillé. Je suis allé en formation d’éducateur de jeunes enfants (EJE) un peu plus tard donc. J’y ai appris à écrire et j’ai développé le goût d’apprendre, ce qui m’a poussé à continuer en Master Sciences de l’éducation mais traitant de questions sociales. C’était un peu un bonus passionnant et qui m’a fait grandir.

Je crois que mon meilleur souvenir est un fabuleux séjour que j’ai fait avec des jeunes de la maison d’enfants à caractère social (MECS) dans laquelle je travaillais. L’équipe était formidable et les jeunes aussi. C’était une semaine en Normandie. Tout y était fluide et extrêmement chaleureux. Les jeunes semblaient prendre beaucoup de plaisir à être là tous ensemble. Le soir nous faisions de grandes tablées familiales où tout le monde échangeait, des plus jeunes au plus grands. C’était de vrais moments de rencontre justement. Et il y avait ce terrain de foot à côté où nous passions nos fins de journée en attendant que le soleil se cache à l’horizon. Tout le monde était passionné par ces matchs improvisés. Il y a eu de sacrés moments de joie et de grandes disputes. Mais encore des moments de rencontre (parfois rugueux), de partage.

Le pire, c’est peut-être la crise d’un jeune de 11 ans. Il était extrêmement en colère et n’arrêtait pas d’insulter tout le foyer à travers la porte de sa chambre. J’étais au téléphone avec une mère qui entendait certainement tout et j’étais assez gêné. Une fois que j’ai eu raccroché, je suis allée voir ce jeune pour lui demander d’arrêter et il me met un coup de poing au visage. J’étais décontenancé et j’avais la lèvre en sang. Je pense que j’avais envie de pleurer sur le coup parce qu’une limite avait été franchie dans notre relation. Mais cela m’a permis de réfléchir et de travailler avec ce qu’il s’était passé. La question de la violence en MECS est un vrai sujet à traiter institutionnellement mais aussi individuellement et intérieurement. Chaque éducateur doit je pense questionner son rapport à la violence s’il est confronté à cette dernière. On ne peut pas se permettre l’économie d’un travail introspectif sur ce type de question, de problématique. Et puis en y repensant, j’étais assez impressionné par sa force et son courage mine de rien, je n’aurai jamais osé à son âge !

Je ne pense pas être très original en parlant de Graine de crapule de Fernand Deligny (Éd. Michon, 1945), pour moi une bible de l’éducateur. Il a eu une influence majeure dans mon travail et je m’y réfère souvent pour tenter de garder ce sens du « pas de côté ». J’ai découvert ce pédagogue en formation et depuis, j’essaie de lire ou voir tout ce qui se rapporte à lui, même si je ne suis pas d’accord avec tout ce qu’il a pu dire ou penser. Mais c’est un homme qui fait réfléchir, qui bouscule, qui pousse à sortir d’une pensée facile, de domination. Et ce livre en est la plus grande preuve. Sur la question de la rencontre et du rôle que peut jouer l’éducateur, il a écrit une superbe phrase - je la vois comme un psaume - : «  Si tu joues au policier, ils joueront aux bandits. Si tu joues au bon dieu, ils joueront aux diables. Si tu joues au geôlier, ils joueront aux prisonniers. Si tu es toi-même, ils seront bien embêtés. »

🖋 Murielle A., éducatrice spécialisée en centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS)

🖋 Thierry Trontin, co-gérant de la SCOP Voyageurs-Éducateurs et d’un lieu de vie et d’accueil

🖋 Laurence, référente de parcours du Programme de réussite éducative

🖋 Romain Dutter, ex-coordinateur culturel au centre pénitentiaire de Fresnes

🖋 Yazid Kherfi, médiateur tout terrain

🖋 Claude, assistante de service social en polyvalence de secteur

🖋 Patrick Norynberg, formateur consultant en politique publique, cofondateur et président de la Régie de quartier du Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis)

🖋 Émilie Philippe, éducatrice de jeunes enfants, membre du collectif Pas de bébés à la consigne depuis sa création en 2009.

🖋 Florent Guéguen, directeur de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS)

🖋 Léa Turchi, assistante de service social, coordinatrice à la mission interface au Samusocial de Paris

🖋 Sadek Deghima, chef de service d’un club de prévention spécialisée

🖋 Lucile Bourgain, monitrice-éducatrice