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🖋 Autoportrait de travailleur social ‱ Cristel Choffel, conseillĂšre technique de service social

« En changeant d’acadĂ©mie, j’ai eu l’impression de changer de mĂ©tier, tant les conditions d’exercice sont diffĂ©rentes »


Quel mot, adjectif, associez-vous spontanĂ©ment au travail social ?

BATAILLEZ !


Pour quelles raisons avez-vous choisi votre mĂ©tier ?

Je ne me souviens pas de mes motivations. J’ai travaillĂ© pendant cinq ans dans une sociĂ©tĂ© de tĂ©lĂ©surveillance avec des missions trĂšs diffĂ©rentes. Mais selon moi, le mĂ©tier d’assistante de service social est synonyme d’engagement.
J’exerce depuis deux ans sur l’acadĂ©mie de Nancy Metz aprĂšs avoir travaillĂ© vingt-deux ans en Seine-Saint-Denis. En changeant d’acadĂ©mie, j’ai eu l’impression de changer de mĂ©tier, tant les conditions d’exercice sont diffĂ©rentes.
Je coordonne et j’anime une Ă©quipe d’assistantes de service social ; je gĂšre un dossier dĂ©partemental sur la mission de harcĂšlement ; je traite toutes les demandes individuelles qui arrivent sur le numĂ©ro vert 3020 (dispositif Stop au HarcĂšlement). J’y rĂ©alise un travail d’écoute auprĂšs des parents ou des Ă©lĂšves ainsi qu’un rĂŽle de conseil technique et de soutien auprĂšs des Ă©quipes des Ă©tablissements pour appliquer le protocole Éducation nationale dans l’objectif d’un apaisement des conflits et d’un retour apaisĂ© Ă  la scolaritĂ©. Je participe aux commissions de l’équipe dĂ©partementale d’entretien avec les familles (EDEF) qui s’occupe de la procĂ©dure de traitement du non-respect de l’obligation scolaire. J’ai Ă©galement la charge de deux Ă©tablissements : un collĂšge de cinq cents Ă©lĂšves et un LycĂ©e Pro de huit cent cinquante en tant qu’assistante de service social en faveur des Ă©lĂšves.
Par ailleurs, depuis 2002, je milite au sein du SNUASFP-FSU, Ă  la fois au niveau national et rĂ©gional. C’est bien Ă  ce titre que je souhaite tĂ©moigner.
Cette prĂ©sentation serait incomplĂšte si je n’évoquais pas mon travail au sein de l’institut rĂ©gional de travail social (IRTS) de Lorraine en tant que formatrice. J’encadre quatre Ă©tudiantes dans le cadre de la mĂ©thodologie du mĂ©moire (DC2). La transmission par les paires restant pour moi un investissement prioritaire.


Quelle formation avez-vous suivie ?

J’ai d’abord suivi deux annĂ©es de droit entre 1985 et 1987. Puis en 1993, dans le cadre d’une reconversion professionnelle, j’ai intĂ©grĂ© un double cursus : DiplĂŽme d’État d’assistant de service social (DEASS) Ă  l’École supĂ©rieure de travail social (ETSUP) de Paris et licence en Sciences de l’Éducation Ă  Nanterre (Hauts-de-Seine). À l’époque, certaines Ă©coles de formation avaient signĂ© des conventions avec les universitĂ©s afin de proposer le parcours Licence/DEASS dans l’espoir d’ouvrir l’ensemble des carriĂšres au statut de cadre dans le privĂ© et en catĂ©gorie A dans les fonctions publiques. Cette initiative faisait suite Ă  la mobilisation de la Coordination nationale des collectifs d’assistants sociaux (CONCASS), composĂ©e des syndicats et de l’Association nationale des assistants de service social (Anas) en 1991 Ă  propos de la juste reconnaissance des annĂ©es de formation. Celle-ci a abouti Ă  la crĂ©ation d’un « faux statut » provisoire de « cheffe » permettant un dĂ©roulĂ© de carriĂšre plus ou moins attractif pour la profession. Cet accord devait faire l’objet d’une renĂ©gociation sept ans plus tard. Mais les employeurs eux, ont continuĂ© Ă  recruter les assistantes de service social sur la base de leur diplĂŽme d’État non de leur licence. Trente ans plus tard, la lutte n’est pas finie ! Enfin en 2012, j’ai ressenti le besoin d’approfondir mes connaissances Ă  propos du dĂ©crochage scolaire et j’ai suivi un master en Sciences de l’éducation Ă  Nanterre.


Quel est votre meilleur souvenir professionnel ?

Le 28 fĂ©vrier 2003, Jean-Pierre Raffarin, alors Premier Ministre, annonçait Ă  Rouen, l’acte 2 de la dĂ©centralisation. Projet qui prĂ©voyait la dĂ©centralisation du Service social en faveur des Ă©lĂšves (SSFE) vers les conseils gĂ©nĂ©raux de l’époque avec le risque de voir la disparition de la spĂ©cificitĂ© de ce service de proximitĂ© auprĂšs des jeunes et des familles qui est une exception française Ă  la fois en Europe et dans le monde. Le lundi matin suivant cette annonce, les militantes du SNUASFP 93, emmenĂ©es par DaniĂšle Atlan (sa fondatrice, aujourd’hui Ă  la retraite) ont crĂ©Ă© une chaĂźne tĂ©lĂ©phonique appelant toutes leurs collĂšgues de l’acadĂ©mie pour se regrouper au rectorat de CrĂ©teil. À 14 h, plus de deux cents professionnelles - soit environ la moitiĂ© de l’effectif - se retrouvaient pour manifester leur volontĂ© de rester au sein de l’Éducation nationale et de dĂ©fendre leurs missions auprĂšs des Ă©lĂšves. Le Recteur a reçu une large dĂ©lĂ©gation dont je faisais partie.


Le pire ?

Des mauvais souvenirs, en vingt-cinq ans de carriĂšre, il y en a beaucoup, le choix est difficile. Le souvenir d’une collĂ©gienne de 14 ans d’origine haĂŻtienne ne m’a jamais quittĂ©e. Sa mĂšre m’a sollicitĂ©e en me disant : « Je suis la mĂšre d’Ingrid (1), mais je ne suis pas en mesure de le prouver. Aidez-moi ! ». Cette dame Ă©tait empĂȘtrĂ©e dans des difficultĂ©s administratives ne lui permettant pas de recourir Ă  certains droits Ă©lĂ©mentaires. Tout cela parce qu’elle n’avait pas eu d’autre choix que de rĂ©tribuer le pĂšre d’une autre enfant pour que sa fille la rejoigne en France en utilisant le passeport de celle-ci. Cependant, ce pĂšre de « papier » ne souhaitait pas s’impliquer davantage.
Aucune solution ne se profilait, et Ingrid allait de plus en plus mal, sa santĂ©, sa sĂ©curitĂ©, sa moralitĂ©, son bien-ĂȘtre, ses conditions d’éducation Ă©taient compromises, voire en danger au regard de l’article 375 du code pĂ©nal. J’ai donc adressĂ© une Information prĂ©occupante (IP) Ă  la Cellule de recueil des informations prĂ©occupantes (CRIP) dans l’idĂ©e qu’un administrateur ad hoc soit dĂ©signĂ©. Cependant, le procureur a choisi de poursuivre les deux parents pour usurpation d’identitĂ© sans qu’aucune prĂ©conisation Ă©ducative n’ait Ă©tĂ© dĂ©cidĂ©e.
Étant Ă  l’origine de ce signalement, je me suis sentie responsable de leur mise en accusation et je culpabilisais. En effet, le risque d’expulsion du territoire Ă©tait important pour Ingrid et sa mĂšre. Je me suis sentie trahie par les autoritĂ©s alors que j’agissais dans le cadre de mes missions dans l’intĂ©rĂȘt de l’enfant.


Quel est votre livre de chevet ?

Le management dĂ©sincarnĂ©, de Marie-Anne Dujarier (Éd. La DĂ©couverte, 2016). J’ai dĂ©couvert cette auteure au Festival du travail social en 2017 Ă  Bobigny, organisĂ© par une intersyndicale dont le SNUASFP faisait partie. Cette sociologue du travail a acceptĂ© de prĂ©senter ses travaux de recherche sur une nouvelle catĂ©gorie de cadres en entreprise « les planeurs » dont les mĂ©thodes managĂ©riales aboutissent Ă  une gestion d’équipe dĂ©lĂ©tĂšre pour les salariĂ©s.


(1) Le prénom a été changé.

Retrouvez les précédents autoportraits

🖋 Murielle A., Ă©ducatrice spĂ©cialisĂ©e en centre d’hĂ©bergement et de rĂ©insertion sociale (CHRS)

🖋 Thierry Trontin, co-gĂ©rant de la SCOP Voyageurs-Éducateurs et d’un lieu de vie et d’accueil

🖋 Laurence, rĂ©fĂ©rente de parcours du Programme de rĂ©ussite Ă©ducative

🖋 Romain Dutter, ex-coordinateur culturel au centre pĂ©nitentiaire de Fresnes

🖋 Yazid Kherfi, mĂ©diateur tout terrain

🖋 Claude, assistante de service social en polyvalence de secteur

🖋 Patrick Norynberg, formateur consultant en politique publique, cofondateur et prĂ©sident de la RĂ©gie de quartier du Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis)

🖋 Émilie Philippe, Ă©ducatrice de jeunes enfants, membre du collectif Pas de bĂ©bĂ©s Ă  la consigne depuis sa crĂ©ation en 2009.

🖋 Florent GuĂ©guen, directeur de la FĂ©dĂ©ration des acteurs de la solidaritĂ© (FAS)

🖋 LĂ©a Turchi, assistante de service social, coordinatrice Ă  la mission interface au Samusocial de Paris

🖋 Sadek Deghima, chef de service d’un club de prĂ©vention spĂ©cialisĂ©e

🖋 Lucile Bourgain, monitrice-Ă©ducatrice

🖋 Tristan Montaclair-Le Foulgoc, Ă©ducateur de jeunes enfants qui travaille avec des adolescents


Vous ĂȘtes tentĂ©s par l’exercice d’autoportrait de travailleur social ? Vous souhaitez partager votre expĂ©rience ? N’hĂ©sitez Ă  nous contacter Ă  l’adresse suivante : katia.rouff@lien-social.com