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🖋 Autoportrait de travailleur social ‱ Audrenne Henke, directrice d’établissement

«  L’école laĂŻque et rĂ©publicaine m’a permis de sortir de mon statut d’enfant d’immigrĂ©s pour ĂȘtre une française Ă  part entiĂšre. La France nous a aidĂ©s, j’ai fait le choix Ă  mon tour de tendre la main Ă  ceux restĂ©s dans la marge  »



Quels mots associez-vous spontanĂ©ment au travail social ?

Engagement, passion.


Pour quelles raisons avez-vous choisi votre mĂ©tier ?

Je suis une enfant de la guerre. Mon pĂšre Allemand, est engagĂ© de force dans les Jeunesses hitlĂ©riennes Ă  17 ans, ma mĂšre italienne, expulsĂ©e de France Ă  l’ñge de 8 ans. Pour l’un, la guerre en tant que jeune soldat puis prisonnier de guerre et donnĂ© par l’Allemagne Ă  la France pour la reconstruction du pays en contrepartie d’un statut de travailleur prisonnier, puis de travailleur libre et enfin la promesse d’une naturalisation en 1968, bien aprĂšs ma naissance. Pour l’autre, deux ans Ă  pied de l’Est de la France Ă  la VĂ©nĂ©tie, placĂ©e dĂšs son arrivĂ©e en Italie Ă  dix ans chez les sƓurs. Son retour en France se fera Ă  nouveau Ă  pied et dans la neige par le col du Grand Saint-Bernard Ă  vingt ans. Mes parents ont choisi la France comme pays de vie, choix dictĂ© par la guerre et la misĂšre. Pour mon pĂšre rien ne l’attendait Ă  Berlin, tout avait Ă©tĂ© dĂ©truit ; pour ma mĂšre l’espoir d’une vie plus douce en France.
J’ai Ă©tĂ© Ă©levĂ©e dans les valeurs rĂ©publicaines, la tolĂ©rance, le respect des diffĂ©rences. Nous Ă©tions l’Europe. Chez nous, on parlait trois langues et on pratiquait deux religions, alors forcĂ©ment mon regard sur le monde est rempli de cette histoire. Travailler dans le social a toujours Ă©tĂ© une Ă©vidence pour moi, les valeurs de solidaritĂ© et d’humanisme transmises par mes parents ont trouvĂ© Ă©cho dans ce mĂ©tier. L’école laĂŻque et rĂ©publicaine m’a permis de sortir de mon statut d’enfant d’immigrĂ©s pour ĂȘtre une Française Ă  part entiĂšre. La France nous a aidĂ©s, j’ai fait le choix Ă  mon tour de tendre la main Ă  ceux restĂ©s dans la marge.


Quelle formation avez-vous suivie ?

À 18 ans, je suis entrĂ©e en formation de monitrice-Ă©ducatrice, puis quelques annĂ©es plus tard, j’ai dĂ©missionnĂ© pour suivre la formation d’éducatrice spĂ©cialisĂ©e. J’ai travaillĂ© durant dix ans (fallait bien rembourser le prĂȘt de ma formation) avant de repartir me former en tant que cadre. J’ai enchainĂ© plusieurs diplĂŽmes (c’est ce qu’on appelle avoir la rage au ventre) : DiplĂŽme des hautes Ă©tudes des pratiques sociales (DHEPS), DiplĂŽme supĂ©rieur en travail social (DSTS) et enfin DiplĂŽme d’ingĂ©nierie sociale (DEIS). J’ai fait ce choix car je voulais me former Ă  la rĂ©flexion, Ă  la recherche, Ă  la praxĂ©ologie, plutĂŽt que de rentrer directement dans le cadre trop normatif d’un diplĂŽme de directeur. J’ai publiĂ© deux ouvrages « Etre directrice dans un Ă©tablissement mĂ©dico-social ; entre dignitĂ© et handicap intellectuel, un mariage incontournable » en 2018 aux Editions L’Harmattan. Cet ouvrage parle de ma posture de directrice notamment auprĂšs d’une population en situation de handicap intellectuel et en 2019 «  Histoires de vie et travail social » chez le mĂȘme Ă©diteur, un ouvrage qui relate l’histoire migratoire de mes parents et la façon dont mon histoire vient en miroir sur quatre autres histoires de vie de femmes que j’ai aidĂ©es en centre d’hĂ©bergement et de rĂ©insertion sociale (CHRS) et qui, comme mes parents, sont venues chercher le bonheur en France. Un parallĂšle qui au fond vient dire la ressemblance entre travailleur social et personnes accompagnĂ©es.
J’ai travaillĂ© dix-neuf ans comme Ă©ducatrice et vingt comme directrice. ParallĂšlement Ă  ma pratique professionnelle, j’ai continuĂ© Ă  me former dans diffĂ©rents domaines mais surtout, j’ai toujours gardĂ© un pied dans la formation, en donnant des cours, en suivant des apprenants, en Ă©tant jury d’examens.


Quel est votre meilleur souvenir professionnel ?

En tant qu’éducatrice, c’est la rencontre avec des femmes extraordinaires en CHRS, des femmes qui se battaient pour leur survie, pour leurs enfants, des mĂšres courages, prĂȘtes Ă  tout pour vivre dignement. Des femmes Ă©galement victimes de violences conjugales, maltraitĂ©es, toxicomanes mais jamais indiffĂ©rentes.
En tant que directrice ce sont des temps de rĂ©union oĂč la rĂ©flexion s’envole : chacun amenant une idĂ©e, puis une autre, proposant une envie, un rĂȘve, construire ensemble et au bout de deux heures se dire que l’on tient lĂ  un sacrĂ© projet et qu’on y va, sentir les Ă©quipes prĂȘtes Ă  me suivre, voir dans leur regard la confiance accordĂ©e.


Le pire ?

En tant que jeune Ă©ducatrice, c’est le suicide d’une adolescente. J’ai dĂ©couvert son corps et n’ai reçu aucun soutien de la part de ma hiĂ©rarchie.
En tant que directrice, les injonctions paradoxales des autoritĂ©s de tutelle avec le toujours plus Ă  moyens constants et la difficultĂ© de recrutement de professionnels parce que le salaire est trop bas et les conditions de travail trop dures. Des jeunes professionnels trop normatifs qui n’osent plus crĂ©er et d’autres dont l’engagement s’est envolĂ© au profit d’un travail uniquement alimentaire.


Quels sont vos livres de chevet ?

Si c’est un homme, de Primo Levi (Éd. Biblioteca Leone Ginzburg, 1947) pour ne pas oublier l’histoire, pour que jamais cela ne revienne sous n’importe quelle forme ; L’art de ne croire en rien (XVIe siĂšcle), suivi de Livre des trois imposteurs, prĂ©face de Raoul Vaneigem, pour comprendre qui nous sommes et pourquoi la religion est prĂ©sente dans nos vies et Le chemin des Ăąmes, de Joseph Boyden (Éd. Albin Michel, 2008), un roman qui nous amĂšne au plus profond d’une rencontre humaine.




Retrouvez les précédents autoportraits

🖋 Murielle A., Ă©ducatrice spĂ©cialisĂ©e en centre d’hĂ©bergement et de rĂ©insertion sociale (CHRS)

🖋 Thierry Trontin, co-gĂ©rant de la SCOP Voyageurs-Éducateurs et d’un lieu de vie et d’accueil

🖋 Laurence, rĂ©fĂ©rente de parcours du Programme de rĂ©ussite Ă©ducative

🖋 Romain Dutter, ex-coordinateur culturel au centre pĂ©nitentiaire de Fresnes

🖋 Yazid Kherfi, mĂ©diateur tout terrain

🖋 Claude, assistante de service social en polyvalence de secteur

🖋 Patrick Norynberg, formateur consultant en politique publique, cofondateur et prĂ©sident de la RĂ©gie de quartier du Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis)

🖋 Émilie Philippe, Ă©ducatrice de jeunes enfants, membre du collectif Pas de bĂ©bĂ©s Ă  la consigne depuis sa crĂ©ation en 2009.

🖋 Florent GuĂ©guen, directeur de la FĂ©dĂ©ration des acteurs de la solidaritĂ© (FAS)

🖋 LĂ©a Turchi, assistante de service social, coordinatrice Ă  la mission interface au Samusocial de Paris

🖋 Sadek Deghima, chef de service d’un club de prĂ©vention spĂ©cialisĂ©e

🖋 Lucile Bourgain, monitrice-Ă©ducatrice

🖋 Tristan Montaclair-Le Foulgoc, Ă©ducateur de jeunes enfants qui travaille avec des adolescents

🖋 Cristel Choffel, conseillĂšre technique de service social

🖋 Driss Blal, Ă©ducateur spĂ©cialisĂ©, chef de projet au cƓur d’un dispositif mis en place par un collectif d’habitants originaires du quartier populaire oĂč il a grandi Tarbes (Hautes-PyrĂ©nĂ©es)

🖋 Laure, assistante de service social en service spĂ©cialisĂ© « Familles »

🖋 Vince, l’éduc spĂ©cial, agitateur spĂ©cialisĂ©, dessinateur, chroniqueur, auteur, et accessoirement chef de service Ă©ducatif...

🖋 Julie (1), 33 ans, cheffe de service dans une structure accompagnant des mineurs isolĂ©s Ă©trangers

🖋 Carlos Lopez, Ă©ducateur Ă  la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) depuis 1999

🖋 Charline Olivier, intervenante sociale en gendarmerie

🖋 Antonio ArgĂŒelles BalletbĂł, Ă©ducateur dans un centre rĂ©sidentiel d’action Ă©ducative (1) des Filles de la CharitĂ©, Fondation sociale Ă  Barcelone (Espagne)

🖋 Sylvie Kowalczuk assistante de service social en polyvalence, formatrice occasionnelle, auteur

🖋 FrĂ©dĂ©ric Maignan, formateur indĂ©pendant en travail social

🖋 Émilie Mocellin, Ă©ducatrice spĂ©cialisĂ©e indĂ©pendante

🖋 Vivien Laplane, Ă©ducateur spĂ©cialisĂ©, auteur, confĂ©rencier, bloggeur, et accessoirement sourd appareillĂ© oralisant

🖋 Sophie Gaillard, secrĂ©taire mĂ©dico-sociale dans deux services d’éducation et de soins spĂ©cialisĂ©s Ă  domicile (Sessad) en rĂ©gion PACA

🖋 Jean-Marie Vauchez, Ă©ducateur spĂ©cialisĂ© et formateur, membre du Haut conseil du travail social (HCTS)

🖋 Ingrid Romane, Ă©ducatrice en maison d’enfants Ă  caractĂšre social dans le var

🖋 Xavier Bouchereau, chef de service en protection de l’enfance et consultant indĂ©pendant

🖋 StĂ©phanie Liatard, travailleuse sociale au QuĂ©bec, Canada

🖋 JĂ©rĂŽme Beaury, directeur-adjoint auprĂšs de la Direction de l’enfance et de la famille du Calvados, en charge de l’Aide sociale Ă  l’enfance et auteur

🖋 Romane Glotain, Ă©ducatrice spĂ©cialisĂ©e et prĂ©sidente de l’association "Le Jardin des Maux’passants en Loire-Altantique. Elle promeut les jardins thĂ©rapeutiques.

🖋 Maximilien Bachelart, Docteur en psychologie et psychothĂ©rapeute, superviseur au sein d’établissements de protection de l’enfance.


Vous ĂȘtes tentĂ©s par l’exercice d’autoportrait de travailleur social ? Vous souhaitez partager votre expĂ©rience ? N’hĂ©sitez Ă  nous contacter Ă  l’adresse suivante : katia.rouff@lien-social.com