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🖋 Autoportrait de travailleur social ‱ Ingrid Romane, Ă©ducatrice en maison d’enfants Ă  caractĂšre social dans le var

« Mon plus beau souvenir ? Quand un enfant m’a expliquĂ© qu’ĂȘtre Ă©duc’, "c’est planter des graines dans toutes les petites tĂȘtes des enfants pour les faire pousser"  »



Quels mots associez-vous spontanĂ©ment au travail social ?

Adaptabilité, réactivité, innovation, systÚme D, confiance et rencontre.


Pour quelles raisons avez-vous choisi votre mĂ©tier ?

À 10 ans, lorsque l’on me demandait ce que je voulais faire plus tard je rĂ©pondais « travailler avec des enfants ». Ma mĂšre, assistante de service social, m’a alors poussĂ©e Ă  la rĂ©flexion et permis de dĂ©terminer si je voulais plus m’orienter vers le soin, la pĂ©dagogie, l’Ă©ducatif... J’ai spontanĂ©ment rĂ©pondu « avec ceux qui sont malheureux ».
Et je n’ai pas dĂ©rogĂ© Ă  mon aspiration premiĂšre, mĂȘme si depuis, je me suis rendue compte Ă  quel point la notion de « malheur » est bien subjective et remplie de projections de nos propres Ă©motions.
Aujourd’hui, lorsque l’on me demande ce que je fais comme mĂ©tier, spontanĂ©ment je rĂ©ponds Ă©duc. Invariablement cela suscite la question :
- Ă‰duc’, Ă©ducatrice spĂ©cialisĂ©e ?
Pour ne pas rentrer dans des explications qui n’intĂ©ressent finalement pas grand monde, je rĂ©ponds oui.
S’en suit toujours le classico « spĂ©cialisĂ©e dans quoi ? ».
Ma rĂ©ponse est maintenant bien rodĂ©e « Ă©duc pas ou trop spĂ©cialisĂ©e au choix  ».
Souvent un dĂ©bat passionnant s’engage avec un vrai questionnement sur ce mĂ©tier intriguant.
Et une fois aussi, perdue dans la campagne profonde, on a pu me demander « Ă©duc, Ă©ducatrice canine ?  » - Ah ? Non, spĂ©cialisĂ©e, mais, dans un autre domaine. Mais, le monsieur qui m’a posĂ© la question ne connaissait pas cette profession. Cela semble ĂȘtre assez rĂ©vĂ©lateur de l’opacitĂ© de notre milieu professionnel.


Quelle formation avez-vous suivie ?

J’ai tentĂ© la voie universitaire en suivant des cours de psycho mais il s’est avĂ©rĂ© que le systĂšme universitaire n’Ă©tait pas pour moi. J’ai donc passĂ© le concours d’entrĂ©e pour suivre la formation de monitrice Ă©ducatrice. J’ai longtemps Ă©tĂ© rĂ©fractaire Ă  l’idĂ©e d’une sĂ©lection Ă  l’entrĂ©e des Ă©coles mais j’en ai finalement compris la nĂ©cessitĂ© pour le mĂ©tier que je fais.
Une fois diplĂŽmĂ©e, je ne me sentais pas prĂȘte, il me manquait des outils. J’ai donc suivi un BTS en Ă©conomie sociale et familiale. Je pensais trouver une lĂ©gitimitĂ© en acquĂ©rant du savoir thĂ©orique, mais rien ne vaut le terrain. Aujourd’hui, aprĂšs des annĂ©es d’expĂ©riences enrichissantes, je m’engage dans une validation des acquis d’expĂ©rience pour accĂ©der au diplĂŽme d’Ă©ducateur spĂ©cialisĂ©.


Quel est votre meilleur souvenir professionnel ?

Il y en a tellement ! Je les ai d’ailleurs regroupĂ©s dans un livre publiĂ© en juillet 2021 (1) pour les faire vivre aux yeux de tous et pouvoir m’y replonger. Un livre oĂč les instants sont suspendus pour plonger le lecteur dans la rĂ©alitĂ© bien mouvementĂ©e de notre quotidien en Ă©ducation spĂ©cialisĂ©e.
Alors, n’évoquer ici qu’un seul souvenir m’est difficile, mais pour rĂ©pondre Ă  l’exercice je vais citer celui qui rĂ©sume, Ă  mon sens, parfaitement notre mĂ©tier. Cette histoire fera bien sĂ»r partie de mon livre, mais du tome 2, qui est en prĂ©paration et dont je vous rĂ©vĂšle aujourd’hui le titre en exclusivitĂ© : Graine d’éduc’ – au cƓur de la relation Ă©ducative.
Un de mes plus beaux souvenirs professionnels a Ă©tĂ© d’entendre dans la bouche d’un enfant de sept ans sa conception de notre mĂ©tier d’Ă©duc’. AprĂšs une soirĂ©e comme une autre, une histoire au chevet plus tard, des confessions au creux du lit comme Ă  l’accoutumĂ©e, il m’explique qu’ĂȘtre Ă©duc’ c’est « planter des graines dans toutes les petites tĂȘtes des enfants pour les faire pousser ». L’heure sonnant, il est temps pour lui de dormir. Un bisou, un cĂąlin, et il conclut cette soirĂ©e par « tu sais ta graine des mots elle est en train de grandir en moi  ». Je repense souvent Ă  ces mots quand je suis en perte de vitesse dans mon travail, ils redonnent immĂ©diatement du sens Ă  mes actions et me rappellent pourquoi je fais ce mĂ©tier.


Le pire ?

Le pire dans ma vie professionnelle n’est pas un souvenir mais une rĂ©alitĂ©. Une rĂ©alitĂ© Ă  laquelle tous les travailleurs sociaux sont confrontĂ©s, que j’essaye de dĂ©peindre dans mon livre. Cette rĂ©alitĂ© est celle de l’Ă©chec institutionnel. Lorsque la structure, le systĂšme, l’organisation, les enjeux budgĂ©taires, n’ont plus de rĂ©ponse Ă  apporter pour soutenir, accompagner les personnes accueillies et le personnel. Lorsque l’institution dans son action aveugle frĂŽle la maltraitance. Lorsque l’Ă©thique est mise Ă  mal. Lorsque l’accompagnement social est freinĂ© par des barriĂšres institutionnelles sur lesquelles nous n’avons aucun levier.
d’élĂ©ments qui impactent directement la qualitĂ© des accompagnements que l’on mĂšne et le public accompagnĂ©.


Quel est votre livre de chevet ?

Le livre qui ne quitte pas ma table de nuit depuis de trĂšs nombreuses annĂ©es est celui de Paulo Coelho Veronika dĂ©cide de mourir (Éd. Anne CarriĂšre, 1998). C’est une histoire qui se dĂ©roule dans un hĂŽpital psychiatrique. Je me rĂ©fĂšre souvent Ă  ce livre pour ne pas oublier qu’il y a plusieurs lectures pour une mĂȘme situation ; pour me rappeler que donner du sens Ă  la rencontre est primordial ; pour me recentrer sur l’Ă©tendue des possibles dont l’accompagnement est porteur ; pour mettre un point d’honneur Ă  repousser mes propres limites, mes prĂ©jugĂ©s, mes compĂ©tences. Ce livre est riche en enseignements et en humanitĂ©, Ă  l’image de notre mĂ©tier.


(1) C’est qui demain ? Tumultes ordinaires en Ă©ducation spĂ©cialisĂ©e, autoĂ©dition.

Retrouvez les précédents autoportraits

🖋 Murielle A., Ă©ducatrice spĂ©cialisĂ©e en centre d’hĂ©bergement et de rĂ©insertion sociale (CHRS)

🖋 Thierry Trontin, co-gĂ©rant de la SCOP Voyageurs-Éducateurs et d’un lieu de vie et d’accueil

🖋 Laurence, rĂ©fĂ©rente de parcours du Programme de rĂ©ussite Ă©ducative

🖋 Romain Dutter, ex-coordinateur culturel au centre pĂ©nitentiaire de Fresnes

🖋 Yazid Kherfi, mĂ©diateur tout terrain

🖋 Claude, assistante de service social en polyvalence de secteur

🖋 Patrick Norynberg, formateur consultant en politique publique, cofondateur et prĂ©sident de la RĂ©gie de quartier du Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis)

🖋 Émilie Philippe, Ă©ducatrice de jeunes enfants, membre du collectif Pas de bĂ©bĂ©s Ă  la consigne depuis sa crĂ©ation en 2009.

🖋 Florent GuĂ©guen, directeur de la FĂ©dĂ©ration des acteurs de la solidaritĂ© (FAS)

🖋 LĂ©a Turchi, assistante de service social, coordinatrice Ă  la mission interface au Samusocial de Paris

🖋 Sadek Deghima, chef de service d’un club de prĂ©vention spĂ©cialisĂ©e

🖋 Lucile Bourgain, monitrice-Ă©ducatrice

🖋 Tristan Montaclair-Le Foulgoc, Ă©ducateur de jeunes enfants qui travaille avec des adolescents

🖋 Cristel Choffel, conseillĂšre technique de service social

🖋 Driss Blal, Ă©ducateur spĂ©cialisĂ©, chef de projet au cƓur d’un dispositif mis en place par un collectif d’habitants originaires du quartier populaire oĂč il a grandi Tarbes (Hautes-PyrĂ©nĂ©es)

🖋 Laure, assistante de service social en service spĂ©cialisĂ© « Familles »

🖋 Vince, l’éduc spĂ©cial, agitateur spĂ©cialisĂ©, dessinateur, chroniqueur, auteur, et accessoirement chef de service Ă©ducatif...

🖋 Julie (1), 33 ans, cheffe de service dans une structure accompagnant des mineurs isolĂ©s Ă©trangers

🖋 Carlos Lopez, Ă©ducateur Ă  la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) depuis 1999

🖋 Charline Olivier, intervenante sociale en gendarmerie

🖋 Antonio ArgĂŒelles BalletbĂł, Ă©ducateur dans un centre rĂ©sidentiel d’action Ă©ducative (1) des Filles de la CharitĂ©, Fondation sociale Ă  Barcelone (Espagne)

🖋 Sylvie Kowalczuk assistante de service social en polyvalence, formatrice occasionnelle, auteur

🖋 FrĂ©dĂ©ric Maignan, formateur indĂ©pendant en travail social

🖋 Émilie Mocellin, Ă©ducatrice spĂ©cialisĂ©e indĂ©pendante

🖋 Vivien Laplane, Ă©ducateur spĂ©cialisĂ©, auteur, confĂ©rencier, bloggeur, et accessoirement sourd appareillĂ© oralisant

🖋 Sophie Gaillard, secrĂ©taire mĂ©dico-sociale dans deux services d’éducation et de soins spĂ©cialisĂ©s Ă  domicile (Sessad) en rĂ©gion PACA

🖋 Jean-Marie Vauchez, Ă©ducateur spĂ©cialisĂ© et formateur, membre du Haut conseil du travail social (HCTS)


Vous ĂȘtes tentĂ©s par l’exercice d’autoportrait de travailleur social ? Vous souhaitez partager votre expĂ©rience ? N’hĂ©sitez Ă  nous contacter Ă  l’adresse suivante : katia.rouff@lien-social.com