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► LE BILLET DE Ludwig • Pierre

Ma collègue s’occupe d’un accueil de jour. C’est un lieu convivial et de proximité qui permet de manière inconditionnelle une mise à l’abri en journée de toute personne en situation d’exclusion, d’errance, et de grande précarité. Les bénéficiaires y reçoivent d’un accueil chaleureux, des conseils, une orientation, un accompagnement social, des soins, entre autres choses.
Ma collègue gère les « 8.6 » de Pierre (1) . Les 8.6 ? Vous savez, ces bières bleues en demi-litre, la torche rapide pour pas cher. Ce matin-là, déjà un peu saoul, bière à la main, Pierre venait faire une machine à laver, et s’adressant à ma collègue, lui demanda de garder ses bières au bureau pendant qu’il s’occuperait de son linge. Ce qu’elle accepta, lui suggérant même de revenir les chercher une par une, histoire de ne pas se cuiter trop vite et de faire quelques démarches administratives. Pas de contrôle social là-dedans, mais une relation de confiance. Un lien. Et Pierre d’accepter.
Ce n’est pas si simple d’en arriver là dans la relation. Il faut du temps. Et alors que dans nombres lieux éducatifs, les diktats des projets pour la personne, des protocoles, de la traçabilité de l’activité, des résultats et autres statistiques ont le vent en poupe, dans cet accueil, on peut prendre le temps de la rencontre. On peut utiliser ce « Chronos » en tant respect du rythme de la personne, du temps qui s’écoule, pour saisir alors un beau jour ce « Kairos », ce bon moment d’opportunité pour agir. On accueille la personne comme elle est, au quotidien, sans la caser. Un café, une écoute, une machine à laver, une orientation partenariale, un début de quelque chose. On est là, dans ce temps partagé de la rencontre mutuelle, dans l’authenticité cher à Carl Rogers.
Mais cela est rendu possible car il s’agit bien aussi de relation d’aide et d’accompagnement. La relation d’aide, que l’on apprend en formation, que l’on éprouve sur le terrain, est cette démarche qui permet à une ou des personnes d’acquérir des apprentissages en vue de répondre à des besoins et/ou à des difficultés et qui se construit sur le lien de confiance à créer, par des aptitudes relationnelles. Cette relation est subordonnée à l’accompagnement, à entendre comme une pédagogie de l’existence adaptée à la personne, dans une démarche péripatéticienne de cheminer ensemble dans un apprivoisement commun. Et cela fait plus d’un an que Pierre et ma collègue s’apprivoisent, tel le petit prince et le renard, entre la temporalité de l’un et l’agir de l’autre. Il s’agit de faire avec et non à la place de l’autre, dans la réciprocité de l’échange.
Pierre était moins bourré ce jour-là, il y a eu acceptation et co-élaboration de la journée. Sa machine à laver tournant, Pierre, accompagné de ma collègue, a mis à jour ses papiers administratifs.
Pierre a envoyé son dossier à la CAF.
A demain, Pierre !


(1) Le prénom a été changé.