L’Actualité de Lien Social RSS

« Une amertume m’a saisi dès mes débuts et ne m’a pas lâché : le constat que notre métier serait tellement plus efficace sans cette profusion de normes et de politiques débiles qui le plombent. »

---

---

Quel mot associez-vous spontanément au travail social ?

Rencontres.

---

Pour quelles raisons avez-vous choisi votre métier ?

Je n’ai pas choisi ce métier, il est venu à moi. Je faisais des études de sport pour devenir moniteur d’escalade ou guide de haute montagne lorsque le service militaire m’a rattrapé. J’ai choisi de faire une objection de conscience dans un gîte à Vallorcine, au-dessus de Chamonix où j’accompagnais des personnes en haute montagne. Après plusieurs saisons, j’ai poursuivi dans une MJC où je pouvais exercer comme moniteur d’escalade. C’est là que j’ai rencontré des jeunes d’un institut thérapeutique éducatif et pédagogique (ITEP) avec lesquels j’ai bien accroché. Le directeur m’a proposé d’intégrer leurs effectifs. comme éduc sportif. J’ai adoré ce travail où j’ai même accompagné un groupe d’enfants jusqu’au sommet du Mont-Blanc ! Après deux ans, j’ai choisi de commencer une formation d’éducateur spécialisé.

---

Quelle formation avez-vous suivie ?

J’ai suivi la formation d’éducateur spécialisé dans une école de Lyon qui s’appelait « Recherche et Promotion ». Cette école avait un principe : tous les étudiants devaient être en situation professionnelle et tous les formateurs sur le terrain, en plus de leur activité de formation.
Finalement, pour un éduc, je n’ai pas été très transgressif, puisque j’ai repris cette formule dès que j’ai pu. Encore aujourd’hui, je travaille dans un foyer d’accueil pour travailleurs en établissement et service d’aide par le travail (ESAT) en plus de mon activité de formateur. En 2004, Joseph Rouzel m’a donné la chance d’essayer la formation et je n’ai jamais arrêté. Actuellement, je passe environ trente journées par ans dans les établissements pour des formations intra : institut médico-éducatif (IME), maison d’enfants à caractère social (MECS), ITEP, maison départementale des solidarités (MDS) et je coordonne l’École de la protection de l’enfance avec mon ami Thierry Arnoux, sous l’autorité administrative de Karine Senghor et Marie-Paule Martin-Blachais pour la dimension scientifique. En 2021, après cinq années de fonctionnement, nous avons eu quinze diplômés au Master de cadre en protection de l’enfance et plus de sept cent cinquante professionnels sont venus entendre nos conférences.

---

Quel est votre meilleur souvenir professionnel ?

Il y a quelque temps, un jeune homme, que j’avais accompagné il y a longtemps, m’a contacté après m’avoir cherché sur les réseaux sociaux. Il souhaitait me dire qu’il avait une vie qui lui plaisait, une compagne avec laquelle il la partageait et plusieurs enfants. Sur le plan professionnel il était également très content de me dire que tout allait bien. Pour moi, le cœur de notre métier n’est pas d’intervenir sur la surface des choses, mais bien d’aider des personnes à mieux vivre sur le plan professionnel et personnel. Si, dans mon métier, j’ai permis à quelques personnes de dépasser leurs difficultés pour mieux vivre, alors je suis content !

---

Le pire ?

Le décès de plusieurs personnes que j’ai accompagnées. Cela fera trente ans l’année prochaine que j’exerce ce métier et cela n’atténue pas le choc de ce genre de drame. Que ce soit l’ado qui se tue en voiture ou la personne adulte qui décède brutalement d’une maladie, cela me renvoie toujours à une forme d’humilité : notre métier d’éduc est un métier d’accompagnement des personnes dans leur existence, même dans ce qu’elle a de plus de plus tragique.
Une amertume m’a saisi dès mes débuts et ne m’a pas lâché : le constat que notre métier serait tellement plus efficace sans cette profusion de normes et de politiques débiles qui le plombent. C’est pour cela que j’ai accepté une place de personne qualifiée au Conseil supérieur du travail social (CSTS), puis d’y siéger au titre de l’Organisation nationale des éducateurs spécialisés (ONES) - qui s’est créée entre temps et dont j’ai accepté la présidence - et enfin d’entrer au Haut conseil du travail social (HCTS) ainsi qu’au Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE). Après presque quinze ans, le bilan est mitigé. Ce sont des instances entièrement bénévoles dont les frais (de déplacement surtout) sont mal remboursés et j’ai toujours dû prendre des heures de récup ou de congé pour participer aux travaux. Par ailleurs, il faut faire le pas de s’adresser à des politiques ou des administratifs qui ne parlent pas du tout notre langue et enfin, découvrir que les « travailleurs sociaux » sont particulièrement divisés. Cependant, je pense qu’il faut en passer par là pour porter la voix des éducs de terrain… et cela a pu peser, parfois, j’espère …

---

Quel est votre livre de chevet ?

Je lis beaucoup ce qui va dans mon sens (Rouzel bien sûr, mais aussi Gaberan, Cartry, Fustier, Chauvière, etc.) mais aussi ceux qui n’ont pas la même conception du travail que moi (Loubat, Savignat, Barreyre…) et je suis toujours surpris de ce que ces derniers peuvent m’apporter, et pas seulement comme contre-exemples, et de ce que les premiers me contredisent souvent ! Mais sur ma table de nuit, il y a Vraie lumière née de vraie nuit, un recueil de poèmes de François Cheng (Éd. Cerf, 2009). Le soir, il faut savoir débrancher, écouter de la musique et lire quelques poèmes.

---

---

Retrouvez les précédents autoportraits

🖋 Murielle A., éducatrice spécialisée en centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS)

🖋 Thierry Trontin, co-gérant de la SCOP Voyageurs-Éducateurs et d’un lieu de vie et d’accueil

🖋 Laurence, référente de parcours du Programme de réussite éducative

🖋 Romain Dutter, ex-coordinateur culturel au centre pénitentiaire de Fresnes

🖋 Yazid Kherfi, médiateur tout terrain

🖋 Claude, assistante de service social en polyvalence de secteur

🖋 Patrick Norynberg, formateur consultant en politique publique, cofondateur et président de la Régie de quartier du Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis)

🖋 Émilie Philippe, éducatrice de jeunes enfants, membre du collectif Pas de bébés à la consigne depuis sa création en 2009.

🖋 Florent Guéguen, directeur de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS)

🖋 Léa Turchi, assistante de service social, coordinatrice à la mission interface au Samusocial de Paris

🖋 Sadek Deghima, chef de service d’un club de prévention spécialisée

🖋 Lucile Bourgain, monitrice-éducatrice

🖋 Tristan Montaclair-Le Foulgoc, éducateur de jeunes enfants qui travaille avec des adolescents

🖋 Cristel Choffel, conseillère technique de service social

🖋 Driss Blal, éducateur spécialisé, chef de projet au cœur d’un dispositif mis en place par un collectif d’habitants originaires du quartier populaire où il a grandi Tarbes (Hautes-Pyrénées)

🖋 Laure, assistante de service social en service spécialisé « Familles »

🖋 Vince, l’éduc spécial, agitateur spécialisé, dessinateur, chroniqueur, auteur, et accessoirement chef de service éducatif...

🖋 Julie (1), 33 ans, cheffe de service dans une structure accompagnant des mineurs isolés étrangers

🖋 Carlos Lopez, éducateur à la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) depuis 1999

🖋 Charline Olivier, intervenante sociale en gendarmerie

🖋 Antonio Argüelles Balletbó, éducateur dans un centre résidentiel d’action éducative (1) des Filles de la Charité, Fondation sociale à Barcelone (Espagne)

🖋 Sylvie Kowalczuk assistante de service social en polyvalence, formatrice occasionnelle, auteur

🖋 Frédéric Maignan, formateur indépendant en travail social

🖋 Émilie Mocellin, éducatrice spécialisée indépendante

🖋 Vivien Laplane, éducateur spécialisé, auteur, conférencier, bloggeur, et accessoirement sourd appareillé oralisant

🖋 Sophie Gaillard, secrétaire médico-sociale dans deux services d’éducation et de soins spécialisés à domicile (Sessad) en région PACA

---

Vous êtes tentés par l’exercice d’autoportrait de travailleur social ? Vous souhaitez partager votre expérience ? N’hésitez à nous contacter à l’adresse suivante : katia.rouff@lien-social.com

---