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• Portrait : À la rencontre d’anciens enfants placés - Sadia

Lucile Barbery, ancienne éducatrice spécialisée de l’aide sociale à l’enfance devenue photographe, est allée à la rencontre des premiers concernés par la protection de l’enfance : les enfants placés devenus adultes.

« Ils ont des choses à nous dire : Qu’est-ce qui les a tenus ? A quoi se sont-ils accrochés ? Quels ont été les obstacles rencontrés ? La violence n’est jamais bien loin, du petit acte d’apparence anodine aux faits les plus intolérables. Ils se sont majoritairement tus. Aujourd’hui, Leurs voix s’élèvent, se rejoignent. Tout en nuances et finesse. Aujourd’hui ils nous font don de leur savoir, de leur expérience, d’une part de leur vie », explique-t-elle.

Elle a rencontré une vingtaine de personnes*, les a photographiées dans un lieu de leur choix, « un lieu signifiant pour elles ». Elle a écouté leur récit de l’adulte qu’elles étaient devenues, leur regard sur la protection de l’enfance, leur témoignage a été écrit avec les personnes et elles lui ont confié une photo d’elles prise durant le placement. Après six premiers portraits publiés au début du printemps, nous reprenons la série avec six nouveau portraits, aujourd’hui retrouvez Sadia.

* Les prénoms ont été modifiés.

SADIA

Sadia, 59 ans à son domicile, Lyon. (c) Lucile Barbery

J’ai été placée à 15 ans. Il n’y avait pas de place : on m’a mise dans un foyer de femmes. J’ai attendu toute la journée dans le salon. Je ne comprenais pas pourquoi. On n’avait pas le droit de rester dans la chambre la journée. J’ai commencé à me faire agresser par les femmes. Je suis partie. Cet été-là j’ai dormi sur les plages des lacs. Finalement j’ai été placée dans un foyer.

J’étais avec des filles de mon âge. J’étais très bien dans ce foyer, il y avait une éducatrice qui passait son temps à me valoriser. Elle était à l’écoute. Plus tard, j’ai demandé à aller à Lyon. Le premier soir, une fille m’a dit : « Il y a telles personnes, elles vont te faire ta fête ». Je les ai menacées, j’ai toujours bluffé, ça a toujours marché. Après, je trainais avec les dures pour qu’elles me foutent la paix, mais au fond je les détestais. Ce que je ne comprends pas c’est que les éducatrices, elles ne s’occupaient pas de nous.

J’ai vécu un choc psychologique, il n’y avait personne pour s’occuper de moi, pour m’aimer. J’ai appris tout de suite à être autonome, fallait garder ses peines, fallait pas se confier…On n’a pas cette tendresse. C’était la jungle, tout le monde voulait quitter ce lieu. Je me disais : « j’aurai dû rester chez moi, me faire battre, tant pis ». Là-bas c’était que de la froideur. L’indifférence des éducs. J’étais une enfant maltraitée et je me retrouve encore à être maltraitée psychologiquement. Quand je suis partie, mon éducatrice m’a dit : « faut pas m’en vouloir, mais on ne peut pas vous aimer. Ca plait pas là-haut. »

Ma vie ça a été le combat tous les jours, parce que je suis une femme, je suis maghrébine. Il y avait du racisme, dans les foyers aussi. A cette époque, nous les immigrés on est très maltraités, on n’a rien le droit de dire. Quand j’étais petite, l’Etat, la justice, la police, je pensais qu’on était protégés, mais en fait on ne l’était pas, on nous fait payer notre souffrance. Aujourd’hui mon pouvoir c’est quand je transmets mon savoir. Je gère une asso. Je suis là où les gens ont besoin de moi. J’ai tellement d’amour à donner. La phrase que disait tout le temps ma mère : « tant que le soleil brille, brille avec lui ». Le métier que j’aurai voulu faire c’est fée. Sur un carnet, je vais écrire des contes pour laisser à mes petits-enfants. Parce que les contes finissent toujours bien, comme la vie.


Retrouvez les portraits de :

Gabrielle
Romain
Hélène
Noé
Elodie
Samuel
Marc
Xavier
Jeanne
Naël