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• Portrait : À la rencontre d’anciens enfants placés - Elodie

Lucile Barbery, ancienne éducatrice spécialisée de l’aide sociale à l’enfance devenue photographe, est allée à la rencontre des premiers concernés par la protection de l’enfance : les enfants placés devenus adultes.

« Ils ont des choses à nous dire : Qu’est-ce qui les a tenus ? A quoi se sont-ils accrochés ? Quels ont été les obstacles rencontrés ? La violence n’est jamais bien loin, du petit acte d’apparence anodine aux faits les plus intolérables. Ils se sont majoritairement tus. Aujourd’hui, Leurs voix s’élèvent, se rejoignent. Tout en nuances et finesse. Aujourd’hui ils nous font don de leur savoir, de leur expérience, d’une part de leur vie », explique-t-elle.

Elle a rencontré une vingtaine de personnes*, les a photographiées dans un lieu de leur choix, « un lieu signifiant pour elles ». Elle a écouté leur récit de l’adulte qu’elles étaient devenues, leur regard sur la protection de l’enfance, leur témoignage a été écrit avec les personnes et elles lui ont confié une photo d’elles prise durant le placement. En attendant de pouvoir organiser une exposition, Lucile Barbery nous a confié six portraits avec leurs témoignages, retrouvez ceux de Gabrielle, Romain, Hélène et Noé déjà en ligne, et découvrez celui d’Elodie

* Les prénoms ont été modifiés

ELODIE

Elodie, 36 ans dans son lieu de travail, à Grenoble (c) Lucile Barbery

" Une personne m’a expliqué que j’allais être placée en urgence, mais qu’il fallait qu’une place se libère. C’est contradictoire. J’avais 15 ans, j’ai été dans un foyer de jeunes filles. Quand je suis arrivée on m’a dit « vas y prends le temps de t’installer ». Mais t’as trois pulls à mettre dans le placard…Les minutes m’ont paru des heures. Pour les vacances de Noël, le foyer fermait, les éducs ont demandé que je retourne chez moi. J’étais réticente…J’ai fini la nuit du 24 décembre pieds nus dans la neige avec mon petit frère chez les gendarmes. Le gendarme nous a ramenés chez nous. Les éducs m’ont trahi.

J’écoutais seulement un éducateur très juste, droit, ouvert, dans l’écoute. Il nous amenait à réfléchir par nous-mêmes. Mon éduc référent lui il me faisait la morale. Il faut que les éducs se rendent compte qu’ils marquent la vie d’un enfant. Ils peuvent briser une vie. Les enfants auront à vivre avec ça, pas eux. Mon père leur avait dit qu’il voulait que je fasse un CAP. Moi je voulais faire un BEP sanitaire et social. Ils m’ont mis dans un CAP coiffure. J’ai pas été beaucoup consultée là-dessus. Aujourd’hui je suis directrice du périscolaire et du centre de loisir.

On nous dit : « faut être fort, qu’on se fasse une carapace ». On occulte nos émotions. Pour Noël, on avait toutes demandé le même cadeau : un poste. Dans notre salle commune, la musique nous réunissait. On avait un hymne : « je veux chanter pour ceux » de LAAM. C’était notre moment pour vider nos émotions, en intimité. C’est un lien fort qu’on crée entre nous. Mais la collectivité c’était lourd : les crises, les cris, les colères. La violence émotionnelle est très intense. La douleur, la tristesse des autres ça pouvait être néfaste pour nous-mêmes, ça remettait tout en cause, le système.

Plus tard, j’ai été dans l’appartement éducatif en coloc’. C’était dans un quartier, les mecs savaient que c’était un foyer de filles. Ils venaient sonner : « alors les salopes, alors les bourriques ». J’attendais le jour de ma majorité, j’étais pressée de retrouver ma liberté. On ne me l’enlèvera plus, on m’en privera plus, on ne me dictera plus. Peut-être qu’on fera de mauvais choix mais on les accepte parce que c’est nos choix".

Elodie, 18 ans (c) DR