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► FORUM - Quand « le prix de l’amour » sabote l’hymne à l’amour

Par Christine Maurey, Assistante de service social

La chanson de termine et la danse aussi…
Deux danseurs sur la scène : un homme et une femme. L’homme évolue sur ses deux jambes, la femme est en fauteuil. Belle, gracieuse, harmonieuse, on la sent grande malgré son fauteuil. Elle est magnifique. Ils sont magnifiques. Ils ont choisi de clôturer leur spectacle de danse par cette chanson de Piaf : l’hymne à l’amour. C’est beau. Il la prend dans ses bras, la fait voler, la repose doucement dans le fauteuil, les sourires sont sur les visages.
C’est un spectacle dédié au handicap. Se sont succédés au cours de la soirée différentes personnes ou groupes de personnes en situation de handicap qui présentent un spectacle de danse.
Pas de discrimination. Quelque soit le handicap, il est possible de présenter un moment de danse. Déjà, rien que cela, c’est beau et respectueux. Qui accepte facilement d’être mêlé à des personnes qui ont de telles différences avec soi ?
La chanson se termine donc mais la fin n’est pas comme d’habitude. Sur les dernières notes, monte sur scène le compagnon de la danseuse. A son insu et en cachette, il a préparé sa demande en mariage. Les autres, les amis, sont au courant, pas elle. Un peu plus loin leur enfant, encore bébé, assiste aussi à ce moment dans les bras d’une amie.
Il s’agenouille devant le fauteuil et se livre au cérémonial classique. La future mariée est déstabilisée mais finit par sourire largement à cette initiative.
La salle est ravie. Elle applaudit et participe à ce moment de joie.
Voilà, c’était drôle et beau cette fin de spectacle. C’était il y a quelques années. La future mariée restera future mariée.
Depuis, pas de mariage. Pourquoi ?
Parce que la discrimination, la bêtise, la petitesse de la législation française font que si la personne en situation de handicap se marie, se met en couple, elle perd ses droits liés au handicap. Pourrait-on ironiser et dire qu’elle n’est plus handicapée grâce au mariage ?
Cette attribution de l’Allocation à l’Adulte Handicapée dépend des revenus du/de la conjoint/te. Le seul fait de vivre en couple fait perdre l’autonomie financière de la personne en situation de handicap…
Créée en 1975, l’AAH était destinée à compenser une incapacité de travailler. Elle varie donc en fonction des revenus salariés de la personne. Cette incapacité à travailler devrait être distincte d’une vie de couple.
Il y a en France plus de 1,2 million de bénéficiaires, dont 270 000 couples, pour une dépense annuelle d’environ 11 milliards d’euros. La « déconjugalisation » de l’AAH des revenus du conjoint est une forte demande des associations de défense des droits des personnes handicapées, dont l’association « le Prix de l’amour »... Le texte de réforme avait été voté par l’Assemblée une première fois en février 2020, contre l’avis du gouvernement et de la majorité. En mars, le Sénat à majorité de droite avait également donné son quitus. En commission le 16 juin 2021, gouvernement, LREM et Modem ont détricoté le projet de réforme de l’AAH, cette allocation versée sous conditions de ressources d’un montant maximal de 903,06 euros et qui n’amène même pas au niveau du seuil de pauvreté actuel...
L’objectif est strictement économique et les effets sont odieux, absurdes et infantilisants. Si la personne reste chez ses parents, elle conserve son AAH quelques soient les revenus de ses parents. Si elle se met en couple, il/elle devient dépendant/te de son/sa conjoint/te et perd son AAH si il/elle a un salaire, même faible.
Résultats… les couples se cachent, rusent, essaient de déjouer les pièges de l’administratif et ne se déclarent pas ensemble ou choisissent de vivre séparément ou pire, se séparent.
Actuellement, le projet de réforme est encore étudié avec l’idée de remonter le plafond de ressource du couple, faire un moyen terme pour ne pas avoir l’air de céder vraiment peut-être…
Que faudrait-il inventer comme argument supplémentaire pour que ce gouvernement comprenne son importance ? Tout a déjà été dit, tout a déjà été remonté par les assos ou les personnes elles-mêmes. Il faut juste qu’ils comprennent, et ça, ce n’est pas donné à tous.
La demande en mariage est restée à l’état de demande. Le joli moment est resté un joli moment laissant un goût amer…