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■ ACTU- Yazid Kherfi : « La répression au détriment de la prévention »

Depuis onze ans, Yazid Kherfi, ancien braqueur, sillonne avec son camion les quartiers populaires de France à la rencontre des jeunes « en bas des tours » et sensibilise les pouvoirs publics à l’urgence de l’aller-vers. Pour le fondateur de l’association Médiation nomade, les révoltes urbaines qui ont fait suite à la mort de Nahel sont la conséquence de plusieurs décennies de mépris de la jeunesse, notamment sur la question des violences policières. Entretien.



Faute de lieu pour réunir les jeunes des quartiers populaires, Yazid Kherfi va à leur rencontre avec un camion.©DR

Comment se déroulent les discussions avec les jeunes depuis la mort de Nahel ?

Les jeunes me disent : « Nahel ça aurait pu être nous ! ». Ils se sentent humiliés au quotidien par la police. Beaucoup disent avoir été déjà braqués par des policiers, certains ont perdu un œil. D’autres ont été tués sans avoir la "chance" qu’une caméra filme. Dans ces situations, la police parle de légitime défense, c’est souvent faux mais sans vidéo, elle a toujours raison. Dans de nombreuses situations, les jeunes avaient fui des barrages policiers car ils n’avaient pas le permis ou roulaient avec une voiture volée. On est censé être égaux devant la loi en France. Je ne le crois pas, notamment en ce qui concerne les noirs et les arabes.

La situation ressemble aux évènements qui se sont déroulées dans les quartiers depuis une trentaine d’années. La plupart des violences en France sont nées suite à la mort d’un jeune en relation avec une opération policière. Depuis les Minguettes en 1983 jusqu’à aujourd’hui en passant par Clichy-sous-Bois en 2005 ou Mantes-la-Jolie en 1991, à chaque fois c’est la même histoire. Cela finit toujours par des émeutes. La violence de certains policiers est souvent l’étincelle mais les problématiques sont là depuis bien longtemps.

Les violences font émerger des maux invisibles, ça devrait être une opportunité de se remettre en cause pour avancer autrement. On a créé la politique de la ville après les émeutes des Minguettes. Le premier ministre de la ville c’était Michel Delebarre en 1991 après les émeutes de Mantes-la-Jolie et de Vaulx-en-Velin. Malheureusement, ce pays n’est réactif qu’aux violences et aux émeutes.

On ne les écoute pas alors les gens se révoltent, c’est une façon d’exister, mais aussi un appel au secours. Les jeunes des quartiers disent depuis longtemps que ça ne va pas avec la police mais personne ne leur répond. Quand ils demandent des lieux ouverts le soir, les mairies leur refuse. C’est une demande légitime de la part des jeunes et des réponses illégitimes de la part des mairies. On leur reproche de « traîner en bas des blocs », mais il faudrait peut-être ouvrir des lieux pour éviter cela. Il faut aussi réinterroger le travail des éducateurs, des médiateurs, des animateurs qui ont un grand rôle à jouer.



Depuis sa création en 2012, Médiation nomade a organisé plus de 550 soirées dans les quartiers. ©DR

Comment fonctionne Médiation nomade et quelles interventions met-elle en place actuellement ?

J’ai créé Médiation nomade car je n’arrivais pas à convaincre la ville de Clichy-sous-Bois de créer un lieu ouvert pour les jeunes le soir. J’ai proposé à la mairie de venir avec un camion et un barnum, elle a accepté. J’ai créé un local à roulettes pour sensibiliser les mairies et les acteurs de la prévention à l’ « allers-vers ». Je suis bien aidé par l’État et notamment l’Agence nationale de la cohésion des territoires (Anct) et le ministère de l’Intérieur dans le cadre de la prévention de la délinquance. Ça fait onze ans que j’existe et que je tire la sonnette d’alarme.

Certaines villes bougent, d’autres non. J’ai organisé plus de 550 soirées dans toute la France à Marseille, en région lyonnaise, en Île-de-France, à Mayotte, et même à Chicago ou j’ai été invité. Hier soir, j’étais à Villiers-sur-Marne. Certaines villes me disent de ne pas venir car elles ont peur que ça dégénère, elles ont peur de parler à la jeunesse qu’elles ne la jugent pas crédible.

Que faire pour que de tels drames ne se reproduisent plus ?

J’aide les villes et les acteurs de prévention. Malheureusement, on investit toujours plus dans la sécurité au détriment de la prévention. Il y a de moins en moins d’éducateurs, d’animateurs, de médiateurs dans les quartiers. Les associations sont en grande difficulté et on a aussi supprimé beaucoup de contrats aidés.

La priorité devrait être la prévention. Quand on parle sécurité, c’est déjà un échec. Avant de taper, il faut éduquer. Si on met les moyens dans la prévention, on économisera sur le budget de la police et de la prison.

Ça fait quarante ans qu’on parle de reformer la police. Il ne faut plus que ce soit l’IGPN qui enquête sur la police, mais une instance indépendante. Il faut partir du principe que les policiers ne sont pas formés pour intervenir en quartier populaire. L’urgence est à la formation des policiers dont 90 % viennent de province mais entament leur carrière en Ile-de-France.

Propos recueillis par Jérémie Rochas

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