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■ ACTU - Il avait 17 ans

Il avait 17 ans. Il a été tué par un policier. Rien n’excusera cela. Le mort de trop. La colère et la tristesse de familles détruites. Le déchainement de violences que l’on va pendant des semaines décrypter sur les chaînes d’informations continues. Les uns appelant à la raison, les autres au rétablissement d’un État de fermeté à l’égard des classes dangereuses. Dans ce contexte, il est difficile de prendre de la hauteur, du recul face aux évènements.



Au fil du temps, la police française a vu sa tenue se militariser, comme si le maintien de l’ordre passait par une posture guerrière. ©Jacqueline Macou/Pixabay

Pourtant, il est nécessaire de poser le débat. Qu’est-ce que la violence ? De quelles violences parlent-on ? A quoi répondent ces violences urbaines ? Petite tentative d’éclairage.

La violence, nous dit le philosophe Yves Michaud, se définit « quand, dans une situation d’interaction, un ou plusieurs auteurs agissent de manière directe ou indirecte, massée ou distribuée, en portant atteinte à un ou plusieurs autres à des degrés variables soit dans leur intégrité physique, soit dans leur intégrité morale, soit dans leurs possessions, soit dans leurs participations symboliques et culturelles ». Soit.

Bouna, Zyed, Théo, Adama, Nahel

Polysémique, multifactorielle, la violence est un acte de transgression, une force contre quelque chose ou quelqu’un. On se doit de l’appréhender de manière multidisciplinaire pour mieux la comprendre.

Ces violences urbaines répondent ici à la mort d’un jeune de 17 ans qui met le feu aux poudres. Il y a eu Bouna, Zyed, Théo, Adama, aujourd’hui Nahel. La violence "légitime" de L’État s’est abattue sur lui. C’est tout d’abord ce que l’on nomme la violence politique. En effet, selon Hobbes, la mission première de tout système est d’assurer la sécurité des citoyens, confiant à l’État le monopole du recours à la force. C’est la première violence, institutionnelle, mère de toutes les autres (1), qui légalise et perpétue les dominations, les oppressions et les exploitations.

Celle à laquelle nous assistons devant nos écrans, effarés comme à chaque phénomène émeutier, est la violence révolutionnaire, qui naît de la volonté d’abolir la première. Puis, nous verrons les forces de l’ordre intervenir, dans un troisième acte : celui de la violence répressive, qui a pour objet d’étouffer la seconde en se faisant l’auxiliaire et la complice de la première violence, celle qui engendre toutes les autres. Il ne faut pas oublier que la première violence fait naitre les suivantes.

Parce que derrière ces violences urbaines, quel est le véritable objet ? Nous assistons depuis les années 80 à des violences urbaines, qui rythment l’actualité. On nous dit toujours réfléchir à solutionner les difficultés des quartiers populaires par des politiques de la ville, de l’urbanisme, de l’emploi.

Que nenni. Il faut dire, ou redire, à qui voudra bien entendre, qu’en réalité, ce sont bien les années passées de déstructuration des classes populaires, la rupture toujours plus grande entre les familles issus des quartiers populaires et le reste de la société, l’enfermement dans les « ZUP », « ZEP », qui fabriquent les émeutiers. L’échec scolaire, le racisme, la ségrégation spatiale et économique, les discriminations, nourrissent ce désespoir social et forment des bombes à retardement.

Déstructuration des classes populaires

Alors, on se demandera encore pourquoi ce sont les structures et mobiliers publics qui sont détruits. Peut-être parce que le dominé devient l’artisan de sa propre domination, comme le soulignait Bourdieu. Qu’il s’attaque aux symboles de l’Etat, ce qui le représente, quitte à bruler la voiture du voisin plutôt que celle des beaux quartiers, ou la bourse comme symbole capitaliste de leur position sociale.

Cette violence est aussi explicable comme étant une « violence fondamentale » (2) : il s’agit de comprendre que dans les situations de violence fondamentale, le statut et le sort de l’objet extérieur, ici mobiliers et infrastructures publiques, ne revêtent qu’une importance secondaire. La destructivité ne s’adresse pas à quelqu’un ou à un objet mais, dans une situation que l’individu ressent comme porteuse d’une grande dangerosité, il cherche à se préserver et non pas à nuire à un objet extérieur clairement différencié.

Cette violence fondamentale fabrique ainsi des interactions car elle rencontre d’autres personnes, d’autres objets, qui devront réagir et s’en protéger. Je pourrais encore parler du concept d’objet « détruit-trouvé » cher à Winnicott, quand il s’agit de détruire ce que l’on fait pour nous, mais là, je crois que je vais trop loin pour nos médias et autres réactionnaires d’antennes.
Reste le décès inqualifiable d’un adolescent qui avait toute la vie devant lui. Le respect et la décence que l’on se doit d’avoir en de telles circonstances.

Ludwig Maquet

1 : Helder Camara, archevêque Brésilien
2 : Jean Bergeret, médecin psychanalyste