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■ ACTU - Plaidoyer à charge contre les placements abusifs

Alors que la protection de l’enfance est généralement pointée du doigt quand des parents maltraitants passent sous les radars, un livre sort aujourd’hui pour dénoncer une tendance à la multiplication des mesures injustifiées.

Attention brûlot. Dans son livre qui sort aujourd’hui, Placements abusifs d’enfants, une justice sous influence, l’avocate Christine Cerrada présente les travailleurs sociaux comme des agents tout puissants de la protection de l’enfance qui dictent les décisions des juges en matière de placements.

D’après son expérience au sein de L’Enfance au cœur, association de défense des mineurs victimes de maltraitance, leadeuse en France sur les problématique de placement abusif, l’autrice dénonce des rapports bâclés qui justifient des placements pour des raisons psychanalytiques sans réel fondement. Elle illustre son argumentaire par dix situations aux issues plus ou moins dramatiques. Des exemples, parmi tant d’autres, selon elle.



Avocate au bureau de Paris, Christine Cerrada accompagne les mamans, et/ou les tiers protecteurs et procède aux audits de dossiers judiciaires envoyés à l’Enfance au cœur. ©DR

Votre livre alerte sur une situation assez surprenante quand de nombreux travailleurs sociaux se plaignent plutôt de mesures non exécutées ?

Je tiens à préciser mes postulats : une protection de l’enfance qui fonctionne bien est nécessaire et il existe de bons travailleurs sociaux. Ces professionnels sont d’ailleurs victimes de l’inflation délirante des mesures qui contribue à la dégradation de leurs conditions de travail. Tout le monde aurait intérêt à lutter contre les placements abusifs, eux en premier lieu, s’ils ont le soucis de l’intérêt de l’enfant, de l’image de leur institution et de leur métier. Les dysfonctionnements sont tels que les mesures se sont emballées. Des associations de droits privées habilitées les mettent en œuvre, or s’il n’y a pas un ruissellement vers les travailleurs sociaux du bout de la chaîne, il y a un intérêt financier pour ces structures de se voir confier de plus en plus de mesures. D’autre part, les travailleurs sociaux en sont les prescripteurs, parce que leurs rapports sont généralement entérinés par les juges.

Vous parlez de droit privé sans précisé que ce sont des associations loi 1901 à but non lucratif, donc a priori personne ne se met de profits dans la poche ?

Des associations se font tout de même épingler pour leur gestion proche de celle de sociétés, avec des problèmes de notes de frais ou de véhicule de fonction... Certaines se soucient de pouvoir bénéficier année après année de la même dotation et s’inquiètent d’une baisse des mesures. Donc cette logique de rentabilité existe au niveau des directions, même si la situation est très disparate en fonction des départements. À Bobigny, il y a des mesures non exécutées. Si en amont, il y avait moins de mesures qui ne servent à rien, par exemple parce un enfant ne se différencie pas de sa mère, ceux qui en ont réellement besoin ne passeraient plus entre les mailles du filet.

À la fin du livre vous formulez les propositions de l’Enfance au cœur pour éviter ces abus. Vos préconisations sont juridiques, ne faudrait-il pas prévenir en amont de la procédure ?

Dans nos préconisations nous indiquons que la procédure devrait être beaucoup plus contradictoire. Actuellement, une grande part des signalements sont faits anonymement et il serait aussi compliqué, après une information préoccupante, d’organiser une confrontation entre les parents et un établissement scolaire ou un hôpital. En revanche, quand le rapport d’évaluation est fait, il devrait y avoir plus de contradictoire. Les personnes déléguées pour le faire rencontrent les parents, mais en réalité c’est du vite fait et les personnes se trouvent en position de fragilité, d’accusées. Quand un parent s’insurge, s’énerve, il nourrit les raisons du placement. Les travailleurs sociaux ont un pouvoir immense pendant cette phase. C’est au niveau du judiciaire que le contradictoire pourrait jouer d’avantage. En amont, il serait souhaitable de ne plus stigmatiser le lien mère enfant. Des travailleurs sociaux voient du Munchausen partout, il y a aussi eu la mode du syndrome d’aliénation parentale, aujourd’hui remplacée par "l’emprise maternelle". Régulièrement, le motif n’est pas la mise en danger ou la maltraitance, mais le lien fusionnel ou le conflit conjugal... Alors que les gens divorcent de plus en plus, que des femmes seules très accrochées à leurs enfants il y en a de plus en plus, que la fragilité psychologique et psychique fait partie de notre époque de manière exponentielle, si les juges s’appuient sur ces motifs, on placera de plus en plus, c’est systémique.

Propos recueillis par Myriam Léon



ed.Michalon, 240P., sortie le 2 mars 2023

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