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Prostitution : précarité, insécurité, violences, les effets d’une loi

« Tous les voyants sont au rouge » : onze associations (1) ont présenté le 11 avril une enquête sur l’impact de la loi du 13 avril 2016 contre « le système prostitutionnel » qui installe la pénalisation des clients et propose un parcours de sortie de la prostitution. Le constat est accablant : dégradation des conditions de vie, de santé, insécurité, clandestinité accrue, droits fondamentaux bafoués.

« Nous avions dès le départ largement alerté les pouvoirs publics sur les conséquences de cette loi, rappelle Françoise Sivignon, présidente de Médecins du Monde. Mais lorsque la société civile alerte à partir d’observations de terrain, elle n’est pas toujours entendue et ce constat est très désagréable ». Aujourd’hui, ces mêmes associations reviennent avec une recherche scientifique, menée par deux chercheurs, pour « sortir de l’idéologie » qui a guidé cette loi et montrer la réalité de façon pragmatique. « Que pensent les travailleur.se.s du sexe de la loi prostitution ? » est le fruit d’une recherche qualitative et quantitative effectuée pendant deux ans sur le terrain, à laquelle 583 travailleur·ses du sexe ont répondu et s’appuyant sur 70 entretiens.

Travailler plus

Les répondants « considèrent que la pénalisation des clients s’avère plus préjudiciable pour elles et eux que l’ancienne mesure de pénalisation du racolage passif », souligne l’étude. Baisse du nombre de clients et moins bonne maîtrise, par conséquent, des conditions de travail, acceptations plus fréquentes des pratiques à risque, sans préservatif : les personnes travaillent aussi plus qu’avant et retardent leur départ en retraite pour assurer leur survie financière. « Une loi qui voulait les aider à arrêter de travailler pousse en réalité un certain nombre d’entre elles à travailler beaucoup plus », note la chercheuse au CNRS Hélène Le Bail.

Stress et dépression

La levée de la pénalisation du racolage passif n’a pas signifié la fin de la criminalisation des personnes prostituées. Localement, des arrêtés municipaux et des contrôles d’identité ciblés les pénalisent plus que leurs clients. Insultes, violences physiques, sexuelles, vols, braquages : les résultats montre une augmentation des violences dans un contexte où les personnes s’isolent plus, se cachent pour travailler loin des collègues ou des passants qui pouvaient assurer une forme de sécurité. Enfin, les chercheurs témoignent d’une détérioration de leur état de santé : « fatigue, stress, dépression et augmentation de la consommation de tabac, alcool et drogues ».

Un parcours de sortie inefficace

Le volet accompagnement de la loi, avec la proposition d’un parcours de sortie de la prostitution, montre un bilan accablant : 55 parcours de sortie ont été accordés depuis le début de sa mise en place pour un budget de 6,8 millions d’euros en 2017, qui passe à 5 millions d’euros dans le projet de loi de Finances 2018. Le parcours de sortie était attendu par de nombreuses personnes notamment étrangères et en situation de précarité. Mais les conditions posées, notamment l’arrêt complet de la prostitution et une aide financière de seulement 330 euros, ainsi que l’absence de toute proposition de logement, expliquent le nombre réduit des demandes.
Face à ces « résultats catastrophiques », les associations partenaires de cette recherche exhortent les décideurs politiques à revenir sur ces dispositions législatives.

(1) Médecins du Monde, Grisélidis, Cabiria, Paloma, association des amis du bus des femmes, collectif des femmes de Strasbourg-Saint-Denis, Acceptess-T, Le planning familial, Aides, Strass, Arcat.