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► LE BILLET de La Plume Noire • Message Vocal

François Durand, éducateur spécialisé de son état, observe le nom qui s’affiche sur l’écran de son téléphone portable. « Marie-Laure Durand  », sa mère. Il est au travail. Il ne répond pas. Ne rejette pas l’appel. Attend qu’il cesse de lui-même. Il se prépare pour un entretien. Oscar, huit ans, va arriver d’ici cinq minutes. Un mois auparavant, l’enfant a déclaré être victime de la part de son père de violences quotidiennes ; gifles, coups de pieds, paroles assassines. François Durand connaît ce traitement et n’a jamais pu, enfant, le confier à qui que ce soit. Avec Oscar, ils sont tombés d’accord. Le petit garçon accepte que le sujet soit abordé en présence du père. Cela fait six mois que l’éducateur reçoit Oscar au Centre-Médico-Psychologique. Au cours des premiers entretiens, l’enfant racontait sa peur des monstres. Une ombre sur le mur de sa chambre et une poupée avec un couteau dans la salle-de-bain. Ces monstres, Oscar ne les voyait que chez son père. Chez sa mère, une semaine sur deux, les monstres n’apparaissaient pas. D’entretiens en entretiens, de fil en aiguille, de monstres en paroles, Oscar a fini par expliquer les coups.
Tout a ses pensées, en légère pression quant à l’entretien à venir, l’éducateur estime qu’il ne verbalisera pas lui-même les propos de l’enfant devant le père. Agir ainsi, risquerait de tout foutre en l’air. Il doit permettre à Oscar de trouver la force de dire et surtout de ne pas parler à sa place. Il sort de son bureau, se dirige vers la salle d’attente. Oscar se lève et invite son père à le suivre.
François et le père s’assoient face à face, chacun dans un fauteuil. Oscar, laisse un fauteuil de libre et préfère se poser sur une petite chaise face à la table destinée aux dessins, jeux et autres pâtes à modeler. Il ne regarde aucun des deux adultes. Il attend.
Le professionnel lance la discussion. Le père, se plaint de l’attitude de son fils, « immature », « ne pense qu’à jouer », « refuse de faire ses devoirs », «  J’attends un peu plus de sérieux de la part de mon fils », « il ne m’écoute pas  » …
-  Et quand il ne vous écoute pas ? Vous faites quoi ? saisit l’éducateur.
-  Ben, vous savez, ce n’est pas simple…
-  Vous vous impatientez ?
Oscar ne bouge toujours pas.
-  Oui, je peux sévir…
-  C’est-à-dire ?
Oscar se lève, penaud mais armé d’une grande conviction « ben, tu me tapes là  », il mime la gifle. Le père nie, minimise. Timidement, Oscar évoque les coups de pieds. Tout cela est faux, dit le père. Oui tout cela n’a jamais existé, même trente ans après, pour la mère de François Durand. Tout se mélange dans la tête de l’éducateur. Stoïque, il n’en demeure pas moins déstabilisé intérieurement. Les violences, les paroles d’enfants étouffées, sa parole d’enfant étouffée. Il se braque quelque peu. Dans le fauteuil le père disparaît au profit de la mère de François Durand. L’éducateur n’entend plus rien. Il attend une parole libératrice. Elle n’advient pas. L’entretien prend fin, la tension est palpable, le père part sans un regard ni un au revoir.
François Durand prend son téléphone portable, écoute le message « Bonjour François, c’est maman, je venais aux nouvelles, rappelle-moi.  »