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Quand un travailleur social parle de son métier à des personnes étrangères à son milieu, les retours ou réflexions principalement exprimés sont régulièrement du type : « Quel courage tu as ! », « c’est bien qu’il y ait des personnes comme toi, moi j’en serais incapable !  », « c’est un beau métier empli d’humanité ! », etc. De plus, lorsque c’est une femme qui travaille dans la rue auprès de jeunes en errance, les remarques sont, bien souvent, plus diligentes. Ces expressions d’admiration et de compliments me mettent régulièrement mal à l’aise, car je ne me reconnais pas dans ces descriptions ou dans la vision que l’autre porte sur mon travail.
J’exerce un métier comme un autre pour lequel j’ai été formée, diplômée et qui me passionne. J’ai des amis actuaires (1) et je ne comprends pas plus leur quotidien qu’ils ne comprennent le mien. Pourtant, tout travailleur social que l’on soit, nous sommes trop rares, trop méconnus ou trop invisibles pour que la société entende parler de nous ou de notre quotidien, ce qui peut nous rendre exceptionnels lorsque nous sortons du circuit du social.
Apparemment, les représentations construites et véhiculées au travers de l’histoire perdurent, puisque plusieurs adjectifs nous sont invariablement attribués : altruistes, humanistes, patients, tolérants, réconfortants, écoutants, indulgents, courageux – ces mots définiraient les saints de la chrétienté aussi !. Notre abnégation est aussi fréquemment mise en avant, bien que – croyez-moi (!) –, nous sommes sans doute les champions pour proférer des blagues de mauvais gout…
Notre modeste vocation est irrévocablement saluée, quand la responsabilisation des plus précaires est inévitablement décriée. Je suis persuadée que vous entendez, vous aussi, des réflexions du type : « s’ils en sont là, c’est qu’ils l’ont bien voulu », « il ne tient qu’à eux de s’en sortir ! » ou encore, le bien connu « ils n’ont qu’à traverser le trottoir pour trouver du travail  » … Grrrr, comme ces remarques me mettent en rogne la plupart du temps, mais qui finalement, après de nombreuses années, ne génèrent plus qu’un essoufflement à la justification ! Car, elles émanent (trop) souvent de personnes éloignées d’une réalité – qui nous est bien trop concrète – et, finalement, ne reflètent que des projections personnelles appliquées à des individus qui connaissent un parcours ou un environnement différent du leur.
Nous, nous sommes supposés savoir (!) puisque nous observons quotidiennement, à la fois, l’affrontement et la coexistence de deux mondes opposés, tout comme leurs ambivalences, leurs distorsions, leurs projections, leurs représentations et leurs préjugés. Nous sommes, comme qui dirait, pris entre deux feux.
Alors, lequel, du criard ou du décrié, est au balcon, observant avec hauteur ce qui se déroule en dessous, quand l’autre déambule sur le trottoir, le regard tourné vers le ciel, avisant l’étendue des possibles ?
(1) haut technicien de l’assurance