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■ ACTU - Logement : « Les oubliés du DALO » font du raffut

Depuis le 5 mars, 220 familles mal-logées et prioritaires DALO se relaient jour et nuit sur un campement Place de la Bastille à Paris dans l’espoir que l’État s’engage à leur relogement.


Les occupants de Place de la Bastille se réveillent après une nuit sous la tente
© Jérémie Rochas


« On commençait à avoir beaucoup de familles prioritaires DALO non relogées donc on a décidé d’organiser cette action. Il y avait aussi cette idée d’amener cette question du mal-logement dans les débats électoraux, toujours très absente  », explique Jean-Baptiste Eyraud, porte-parole du DAL. Ce n’est pas la première fois que l’association décide d’occuper l’espace public pour exiger le respect du droit au logement. Durant l’hiver 2007, elle organisait un premier campement qui contraignit l’État à s’engager au relogement de 374 familles. « Sans engagement ferme et crédible, nous resterons. On a l’habitude, nous avons déjà mené des campements qui ont duré des mois  », assurait le militant, tout juste sortie de garde à vue le 13 avril dernier (1). En effet, la mobilisation ne faiblit pas et l’association multiplie les manifestations ces dernières semaines. Le 18 avril, elle organisait « un raffut pour le logement » sous les QG des finalistes de l’élection présidentielle. Deux jours plus tard, une délégation du campement de Place de la Bastille s’installait devant l’Élysée jusqu’au 23 avril. Au milieu des banderoles et des toiles de tente, les occupants de la Place de Bastille sont déterminés et n’ont plus grand-chose à perdre. Ils sont à la rue, vivent en hôtel ou dans des logements insalubres. Beaucoup ont été expulsés ou sont en voie de l’être. Selon la Direction régionale et interdépartementale de l’hébergement et du logement (DRIHL), au moins 14 400 demandeurs DALO « labellisés » à Paris étaient encore en attente de relogement en février 2021.


Mohamed, Chaira, Soabni, et d’autres personnes mobilisées dans l’occupation de Place de la Bastille © Jérémie Rochas


Artifice juridique

« Je suis prioritaire DALO depuis 2016, insiste Faiza, engagée avec le DAL depuis le début de l’occupation. Beaucoup de personnes attendent un logement depuis 6 ou 7 ans. Il y a de nombreuses personnes handicapées ou âgées qui sont concernées  », poursuit la déléguée de l’association. La situation des 220 familles de la Place de la Bastille est loin d’être isolée. Depuis le 1er janvier 2008, la loi instituant le droit au logement opposable permet à six catégories de ménages de déposer un recours auprès des commissions de médiation départementales afin de se voir proposer de manière « prioritaire » un logement par le préfet. En réalité, la loi n’est souvent pas respectée et son application est toute relative selon les départements. « 47 départements ne représentent que 2 % des recours logement. À l’inverse, 58 % des recours ont été enregistrés en Île-de-France », alertait la Fondation Abbé Pierre dans son dernier rapport sur le mal-logement en France. Avec « 23 % des ménages reconnus prioritaires depuis 2008, soit 77 684 ménages, toujours en attente d’un logement, dont certains depuis 12 ans », la reconnaissance DALO ne suffit plus à faire valoir l’urgence d’une situation de mal-logement.
Le taux de décisions positives rendues par les commissions de médiation diminue chaque année. À Paris, le taux de décisions favorables a chuté de 71 % à 49 % entre 2008 et 2020. « Ce taux est inférieur là où sont déposés la majorité des recours, signe que les décisions ont tendance à être prises au regard de l’offre de logements disponibles, au détriment de la situation des personnes et de la loi, en raison d’une interprétation parfois restrictive des critères de reconnaissance par les commissions de médiation », dénonce la Fondation Abbé Pierre. Le non-recours au droit est un frein supplémentaire à l’accès au logement des ménages les plus précaires. Selon la Cour des comptes, les commissions de médiation ont enregistré une baisse de 60 % des dépôts des dossiers pendant le premier confinement. « Dans certains départements, il n’y a pas d’associations, pas d’informations de la part des autorités. Le propriétaire ne prévient pas le locataire de ses droits, des huissiers abusent. Certaines mairies sont enclines aux décisions des propriétaires. Le prix de l’immobilier continue d’augmenter et les gens sont expulsés des villes toujours plus loin dans les périphéries », déplore Fanny, militante du DAL.


Une femme avec une poussette rejoint l’occupation des « oubliés du DALO » de Place de la Bastille © Jérémie Rochas


Le règne des proprios

« Les propriétaires sont toujours gagnants  », soupire Mohamed, assis devant le « QG des mal-logés ». Labellisé DALO par la Commission de médiation de Paris depuis an, il a pourtant été expulsé de son logement et ce malgré la circulaire du 26 octobre 2012 qui enjoint les préfets à interrompre les procédures d’expulsions des personnes bénéficiaires du DALO. « J’étais locataire dans le privé, ils m’ont expulsé du jour au lendemain parce qu’ils voulaient vendre. Mais j’ai toujours payé mes loyers moi…  », raconte le quinquagénaire, contraint de vivre à la rue depuis septembre 2021. Il n’a jamais reçu d’attribution de logement et a fait un recours indemnitaire pour obtenir des dommages et intérêts suite aux préjudices subis. Entre 2015 et 2020, l‘État a dû payer 130 millions d’euros au titre des astreintes. «  Je n’ai rien reçu, ni logement, ni hébergement ni argent  », s’exaspère Mohamed. En mars dernier, le Haut comité pour le droit au logement s’inquiétait « des trop nombreuses procédures d’expulsion à l’encontre des personnes reconnues au titre du Droit au logement opposable ». La cellule de veille expulsion du Haut comité a comptabilisé 101 situations de ménages reconnus DALO sous le coup d’une procédure d’octroi du concours de la force publique pour procéder à leur expulsion. « Des préfectures ont continué d’expulser pendant le confinement. En Seine-et-Marne, ils ne délivrent pas de DALO pour les ménages en cours d’expulsion pour éviter d’avoir à les reloger », déplore Fanny.


Faiza et trois autres femmes, assises devant le « QG Droit au logement » de Place de la Bastille © Jérémie Rochas


À la seule décision des propriétaires, des centaines de familles se retrouvent à la rue du jour au lendemain, paralysées devant les prix exorbitants de l’immobilier parisien. Soabni a été reconnu prioritaire DALO en octobre 2021. Elle est en procédure d’expulsion et doit quitter son logement avant le 7 mai prochain. « J’ai trois enfants et nous vivions à cinq dans un 25 m2 depuis 12 ans avant qu’il décide de vendre. C’est devenu impossible de trouver un logement dans le privé à Paris », relate Soabni, au milieu du groupe. À ses côtés, Chaira est dans une situation aussi délicate. « J’ai fait un recours DALO en 2008 et suis en procédure d’expulsion depuis le mois de mars. J’ai des enfants handicapés et un mari malade », témoigne la locataire mobilisée depuis le début de l’occupation. Selon la Fondation Abbé Pierre, 21 % des ménages qui occupent des logements sur-occupés ou non décents, sont en présence d’une personne mineure ou handicapée.
Le DAL et ses adhérents se disent optimistes quant aux débouchés de la lutte. Les négociations se poursuivent et plusieurs rencontres avec le ministère du logement ont eu lieu ces dernières semaines. Contactée par Lien social, la ministre Emmanuelle Wargon n’a pas souhaité répondre à nos questions. « Nous sommes en changement de gouvernement, de ce point de vue c’est très compliqué d’avoir une réaction  », se justifiait un membre de son cabinet.

Jérémie Rochas


(1) www.lien-social.com/%E2%96%A0-ACTU-Droit-Au-Logement-une-repression-sans-precedent