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✖ EXPO - Juifs et musulmans : plus d’histoire, moins de clichés

Juifs et musulmans n’ont pas toujours connu des conflits. Une exposition présentée au Musée national de l’histoire de l’immigration (Paris), montre qu’au Maghreb par exemple, avant et pendant la colonisation française et même au cours de la guerre d’indépendance, ils ont su vivre en harmonie. Un regard apaisé sur une histoire souvent caricaturée.

En sillonnant de long en large les salles de l’exposition, le visiteur traverse cinq périodes qui relient juifs et musulmans : 1830-1914 : ensemble mais différents dans la société coloniale ; 1914-1939 : engagés dans le projet impérial français ; 1939-1945 : le chaos de la guerre ; 1945-1967 : nouveaux États, nouveaux destins ? ; 1967 et après : éloignement et oubli, vers d’autres destins.
S’arrêter devant les cartes, tableaux, objets, vidéos, enregistrements de musique, coupures de presse permet d’identifier tantôt les valeurs communes, tantôt les différences de traitement et les écarts progressifs créés entre les deux communautés dans trois pays colonisés : Algérie (département Français), Tunisie et Maroc (Protectorat), mais aussi en France et jusqu’au Moyen-Orient.


Valeurs communes et solidarités

L’exposition montre comment, au moment de l’engagement dans le projet impérial français, une vision des populations juives et musulmanes, arabes ou berbères, toujours pittoresque et soudée autour d’une image coloniale, est préservée dans des traditions locales et assumée dans la peinture et la photographie. On y découvre le m’laya et la gandoura (tenues de femmes musulmanes et juives dont la peau et les mains sont protégées), avec des rites de mariages reconnus et estimés par les deux communautés à cette époque.

On voit comment, pendant la Première Guerre mondiale, les indigènes musulmans comme les juifs Algériens (citoyens français depuis 1870) sont mobilisés. Unis dans la même découverte du sol français métropolitain, des liens de fraternité se créent pendant les combats. On y constate les égards réservés aux deux communautés de la part de l’armée, concernant les repas sans porc, les rituels, les cimetières, stèles ou tombes, spécifiquement orientées, les soins infirmiers et les accès à la prière. En revanche, après la guerre, durant l’immigration ouvrière vers les mines du nord de la France, vers Lyon ou vers Paris, ce sont les mêmes précarité et xénophobie qui les attendent
C’est alors que dans le prolongement du courant orientaliste, Elissa Rhais, romancière juive, connaît le même succès qu’Edmond Nathan Yati avec son orchestre arabo-andalou dans lequel juifs et musulmans jouent ensemble. En traversant la Méditerranée, le même plaisir partagé des deux communautés permet d’identifier les différences de vie sociale ici et là-bas, en riant grâce au folklore.
L’exposition nous apprend que pendant la Seconde Guerre mondiale, sous l’occupation, le régime de Vichy leur ayant retiré la nationalité française dès 1940, des juifs tentent de se faire passer pour musulmans et reçoivent la protection de la Grande Mosquée de Paris, pendant que les musulmans, eux, accèdent à la légalité civique.

L’exposition évoque également d’autres moments de solidarité pendant la guerre d’Algérie : Murielle Said, solidaire de la cause musulmane, accueille par exemple des réunions clandestines de militants de l’indépendance ; Lucien Hanoun, professeur juif qui dirige le journal La Voix des Soldats, est accusé d’être anti-Français à son procès en 1948. On y découvre également Djamila Boupacha, défendue par Gisèle Halimi pour tentative d’attentat, viol, torture sur l’armée française ; Elie Gozlan, « papa Lili », notable juif arabophile, militant pour l’amitié judéo-arabe ; ou encore un manifeste du Comité de l’Union Sémite Universelle en faveur de l’alliance entre juifs et musulmans.
Au plan culturel, plus près de nous, dans les années 1970, l’exposition rappelle que des films comme La vie devant soi de Moshé Mizrahi ou Le coup de Sirocco d’Alexandre Arcady qui évoquent avec tendresse la coexistence des deux communautés, rencontrent un grand succès. Que la télévision consacre nombre d’émissions aux pieds-noirs, au chanteur Enrico Macias, aux sketchs de Smaïn ; que des cabarets programment la musique de Lili Boniche. En 1996, Abderrahmane Ould Mohand, penseur de la révolution algérienne de 1954, vivant entre Paris et Alger , témoigne dans « Un jardin des moines » du bonheur de partage toujours possible, en dépit de l’atrocité du massacre des sept moines du Monastère de Tibherine. En 2020, Louise Narbo, juive, questionne par la photo la mémoire et les traces de cette histoire coloniale, avec sa série « Scènes de la vie antérieure ».


Points d’opposition et différences de traitements provoquent des tensions

La visite de l’exposition enseigne que tout au long de la colonisation, la France a maintenu des différences de traitement entre les communautés juives (décret Crémieux) et musulmanes. La naissance d’écoles religieuses (madrasas ou yeshivots) a contribué à séparer davantage ces communautés. En 1934, à Constantine, un fait divers éclate dans le vieux quartier juif du Charah, faisant plusieurs blessés dans les deux communautés. Des dessins caricaturaux publiés dans Le Hérisson Constantinois ou La Dépêche de Constantine illustrent bien comment les Français s’adressent différemment aux deux communautés comme aux Européens.
Sous le Front Populaire en 1936, des notables musulmans obtiennent la nationalité française alors que, pendant l’occupation Vichy la retire aux juifs de métropole comme d’Algérie, qui redeviennent ainsi indigènes, comme les musulmans.

En 1948, la création de l’État d’Israël et la révolution panarabe en Egypte, puis l’intervention franco-britannique à Suez en 1956, précipitent les séparations par des clivages idéologiques.
L’exposition se fait enfin l’écho des évolutions plus récentes de la vie des deux communautés sur le sol français.
Après l’indépendance, les juifs d’Afrique du Nord sont rapatriés et une forte communauté musulmane va nourrir les rangs de l’immigration économique.
À partir des années 1980, la présence musulmane fait face aux discriminations et à la montée de l’extrême droite. Les jeunes se mobilisent alors contre le racisme et l’antisémitisme. En mai 2005, les caricatures danoises du prophète, plus tard des actes terroristes, des profanations de tombes juives, commencent d’opposer parfois les deux communautés. Des identités politisées émergent dans les banlieues, une forme de séparatisme s’exprime parfois.

Globalement, les tentions restent toutefois ponctuelles sur les carrefours culturels. L’État encadre le port du voile, rénove des quartiers de l’est parisien et la gentrification éloigne les populations immigrées. La mémoire commune est parfois douloureuse ou disparait avec l’érosion des lieux. L’Algérie ne reconnait pas bien l’ancienne cohabitation des deux communautés, ce qui est moins le cas au Maroc et en Tunisie.
Enfin, l’exposition diffuse un documentaire « Quatrième Sarcelles » mettant en scène trois classes de 4ème de Sarcelles (Val d’Oise), l’une, mixte, d’un collège public dont de nombreux élèves sont issus de l’immigration musulmane, les deux autres, l’une de filles, l’autre de garçons, d’une école juive privée, qui fait dialoguer des jeunes qui vivent les uns en face des autres sans se connaître (ni savoir combien l’histoire de leurs ancêtres a de points communs).

Agnès Montagne


Juifs et musulmans. De la France coloniale à nos jours. Plus d’histoire, moins de clichés. Commissariat de l’exposition :
  • Benjamin Stora, commissaire général, historien
  • Karima Dirèche, commissaire associée, historienne
  • Mathias Dreyfuss, commissaire exécutif, historien
    Jusqu’au 17 juillet 2022.

Dossier pédagogique de l’exposition Juifs et Musulmans (histoire-immigration.fr)