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► LE BILLET de La Plume Noire • Ceux qui plantent des graines

« Tu sais quoi Jérôme ? Je viens de terminer le bouquin de Jacques Ellul ″Anarchie et christianisme″. »
Comme bien souvent, François Durand et Jérôme Cabriole, tous deux éducateurs spécialisés de leur état, discutaillent le bout de gras dans le bureau, en attendant l’arrivée des marmots encore à l’école.
- En fait, dans ce bouquin, il défend l’idée que l’on peut être et à la fois chrétien, ce qu’il est, et anarchiste, ce qu’il est aussi. J’ai acheté ce livre car j’aime qu’un gars ait pu réunir dans un même mouvement ces deux termes a priori inconciliables. Cela dit, pour ma part, il y a déjà un petit moment que je me demande si le Christ n’est pas un anarchiste. Il s’est quand même fait rabattre le caquet par trois pouvoirs différents. Le Sanhédrin qui l’accuse de blasphème, le pouvoir romain qui le crucifie et ensuite l’église catholique qui en son nom établit l’ordre alors que lui n’a jamais fait que contester l’ordre établi. Ils s’y sont pris à trois pour le réduire au silence, c’est dire si son propos dérange le pouvoir en place. Je te dis, un vrai anarchiste.
- Ouais, anarchiste je veux bien mais quand même beaucoup de personnes sont mortes durant les guerres saintes, pour ne citer que celles-là. Et l’anarchie prône plutôt la solidarité entre les peuples non ?
- Oui, tu as raison et Jacques Ellul ne dit pas le contraire. Il déclare ″ Toute religion est porteuse de guerre, oui, mais la Parole de Dieu n’est pas une religion, c’est la plus grave trahison d’en avoir fait justement une religion.″
- Tu crois en Dieu toi maintenant ?
- Ce n’est pas tant le concept de Dieu qui m’intéresse ici mais plutôt celui de parole. Pour moi, tu le sais, elle est sacrée. Elle est au-dessus de tout. Et ici, en MECS, c’est la parole des gosses qui est sacrée. Ils sont placés parce qu’ils ont leurs mots à dire. Pour autant, j’ai le sentiment que cette parole est bien souvent bafouée et la première trahison à son encontre est de l’avoir institutionnalisée. Certes, nous n’avons pas d’évêques ni de pape mais des chefs et des directeurs et je ne suis pas certain que la parole des enfants pèse autant que celle de notre chère hiérarchie. Faudrait voir à pas renverser l’ordre établi.
- Oui, le parallèle se tient et à bien y réfléchir nous les Zéducs, tout laïcs que nous nous revendiquons, à vouloir remettre les âmes égarées sur le droit chemin, nous embrassons sans vraiment le percevoir le costume des missionnaires.
- Complètement.
- Et attends, les meilleurs d’entre nous sont ceux qui détiennent la bonne parole.
- C’est-à-dire ?
- Ceux-là, je les adore. Tu ne vois pas ?
- Pas vraiment, non.
- Ceux qui ″plantent des graines″ comme ils disent. Tellement persuadés que leur parole est la bonne qu’ils n’ont qu’à la planter dans les esprits des ignorants pour que cela prenne.
- Ah oui, je vois, ils ne doutent de rien eux. Ils ne se demandent pas si leurs graines sont folâtrées ou gorgées d’OGM, non, ils plantent en espérant faire des petits.
- Finalement, tu as raison, nous aussi nous avons notre pape, nos évêques et nos missionnaires et oui, l’anarchie n’est pas pour demain.
- D’autant plus que nous avons nos évangélistes, ceux qui plantent des graines.


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