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■ ACTU - Prostitution : une « victoire d’étape » décevante

En France, rien n’interdit de se prostituer mais l’achat d’acte sexuel et l’organisation du travail du sexe restent prohibés. Cette hypocrisie fragilise les travailleurs du sexe et, d’après eux, la situation se dégrade depuis la loi de 2016 pénalisant les clients. Pour qu’elle soit abrogée, ils en appellent à la Cour européenne des droits de l’homme.



La loi de 2016 a abrogé le délit de racolage public, mais en pénalisant les clients elle a précarisé les prostitué(e)s qui prennent de plus en plus de risques. ©Médecins du monde

Le 31 août, une décision sur le fond était attendue, les militants des droits des travailleurs devront se satisfaire « d’une victoire d’étape ». Le 31 août, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a jugé recevable leur requête demandant l’abrogation de la loi française de 2016 pénalisant les clients de prostitué(e)s.

Dégradation de la situation

La Cour annonce « avoir reconnu que les requérants pouvaient se prétendre victimes au titre des articles 2 (droit à la vie), 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants) et 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention… Ils ont produit devant la Cour des témoignages décrivant la dégradation de leur situation depuis la pénalisation de l’achat d’actes prostitutionnels ».

Après avoir épuisé les recours français, 260 hommes et femmes de diverses nationalités déclarant « exercer à titre habituel l’activité de prostitution de façon licite au regard des dispositions du droit français » se sont tournés vers la juridiction internationale pour dénoncer « l’incrimination de l’achat de relations de nature sexuelle, même entre adultes consentants, instaurée par la loi n° 2016-444 du 13 avril 2016. » En abrogeant le délit de racolage public, cette loi se concentre sur la pénalisation des clients avec des contraventions allant de 1500 à 3500€.

Raisonnement erroné

« Cette loi avait deux objectifs affichés, réduire la prostitution pour réduire la traite, explique Sarah-Marie Maffesoli, référente travail du sexe de Médecins du monde. De fait, la pénalisation des clients n’a pas réduit la prostitution, mais l’a précarisé encore plus avec des clients qui ont disparu, d’autres qui n’acceptent de venir que dans des espaces très reculés où ils ne risquent pas de se faire attraper, ou alors tout se passe sur internet ce qui fait que les migrantes allophone, avec qui MdM travaille beaucoup, ne peuvent plus travailler de manière indépendante et autonome. En fait, le raisonnement initial est erroné, la cause de la prostitution n’est pas la clientèle mais la nécessité d’avoir de l’argent pour vivre. »

Informer sur les droits

Sur le terrain, les acteurs de la réduction des risques et les associations communautaires observent que cette loi a favorisé l’exposition à l’exploitation, puisque les travailleurs du sexe ont du changer leur manière de travailler en recourant à des intermédiaires, auquel elles reversent jusqu’à 70% de leurs revenus.

« Personne ne défend la prostitution, mais en tant qu’organisation de terrain orientée santé, MdM a une approche pragmatique du sujet, ajoute la spécialiste. Concernant le travail du sexe, nous luttons contre l’exploitation en allant au contact des personnes, en créant un lien de confiance, en les informant sur leurs droits, ce qui leur permet de s’en saisir si, et quand, elles le souhaitent et ainsi de s’émanciper de situation d’exploitation. En éloignant physiquement les personnes, on les éloigne de l’accès à leurs droits. »

Myriam Léon

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