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■ ACTU - CAF bashing : derrière la polémique, des problèmes structurels

Pour rattraper son retard dans le traitement des dossiers, la CAF de la Drôme avait annoncé mi-juin fermer ses accueils pendant plusieurs jours. Évoquant cette situation, un chroniqueur d’RTL a raillé l’absentéisme et le laisser-aller des agents, provoquant un tollé chez ces derniers.

Les portes ne sont finalement restées closes que 48 h. Alors que tous les accueils de la caisse d’allocations familiales (CAF) de la Drôme devaient fermer entre le 9 et le 21 juin pour résorber le retard dans le traitement des dossiers d’allocataires, la CNAF a mobilisé des renforts temporaires pour venir en aide aux agents drômois. Le lundi 13 juin, les agences étaient rouvertes au public.

Nul doute que le battage médiatique autour de cette fermeture a pesé dans la décision. En particulier, une chronique diffusée le 10 juin sur RTL et intitulée « Pourquoi la CAF accuse un retard dans le traitement des dossiers ». L’édito revient sur l’engorgement de la CAF de la Drôme, où le délai moyen de traitement est alors de 20 jours, tous dossiers confondus.



Délais de traitement des demandes faites à la CAF de la Drôme, au 11 juillet

En plus de dysfonctionnements informatiques, l’éditorialiste et journaliste, François Lenglet pointe du doigt, sous les rires du présentateur Yves Calvi, un « absentéisme inhabituellement élevé » et un laxisme chez les conseillers : « bon nombre d’agents sont passés du télétravail à la télé tout court, dans leur salle à manger ». Sans contextualiser ni dire d’où il tient ces informations. Surtout la dernière.

« Nous avons pris cela pour une insulte »

Plusieurs jours après, Nadège Saint-Blancard, salariée de la CAF de la Drôme et déléguée syndicale FO, a toujours ces propos en travers de la gorge. « Cela nous a fait très mal. Nous avons pris cela pour une insulte (...). Les agents se démènent pour que les allocataires bénéficient de leurs droits le plus rapidement possible », tempête-t-elle. Un sentiment partagé par d’autres organisations syndicales, et même par la direction de la CNAF. Celle-ci s’est fendue d’un courrier de protestation, dénonçant notamment un « commentaire proprement scandaleux ».

Quoi qu’il en soit de cette chronique radio et de sa petite phrase désobligeante, la polémique illustre les problèmes conjoncturels et structurels auxquels sont confrontés les agents des CAF. Conjoncturels, puisque l’absentéisme évoqué par l’éditorialiste concerne la période de fin 2021-début 2022, soit au plus fort de la vague de contamination au variant Omicron. « Comme tout le monde, les agents de la CAF n’ont pas échappé au virus et aux fermetures d’écoles », rétorque Audrey Granet, membre de la Fédération nationale CGT des personnels des organismes sociaux, et elle-même salariée de la CAF du Puy-de-Dôme.



La baisse des effectifs oblige à des fermetures d’accueil afin de traiter les dossiers en retard. ©Myriam Léon

Quant aux problèmes informatiques, avérés et consécutifs à la réforme des aides personnalisées au logement (APL), ils ont surtout eu lieu au premier semestre 2021. « Aujourd’hui, la situation s’est améliorée, elle est moins handicapante, reconnaît Nadège Saint-Blancard. Même si l’on rencontre toujours des problèmes et des instabilités sur le réseau informatique, notamment lorsqu’il s’agit de dossiers concernant les APL. » De l’aveu de chacun, tout cela a participé à aggraver les retards dans l’étude des dossiers.

Structurels, car d’après les syndicats cette situation est aussi la conséquence d’un mouvement de fond : la diminution des moyens humains. Dans un contexte d’austérité budgétaire de la part du ministère des Solidarités et de la Santé, la convention d’objectifs et de gestion (COG) entre l’Etat et la CNAF, qui porte sur la période 2018-2022, prévoyait ainsi 2100 suppressions de postes dans les CAF de France (sur environ 35000 agents).

Supprimer 2100 postes en quatre ans

Dans la Drôme, selon Nadège Saint-Blancard, cela s’est concrétisé par un objectif de diminuer l’effectif global de la CAF de 18 équivalents temps plein en quatre ans. Et ce, alors que les gains de productivité promis par l’informatique sont loin de s’être vérifiés. La précédente convention d’objectifs et de gestion incitait déjà la CNAF à diminuer ses effectifs de l’équivalent de 1000 CDI sur la période 2013-2017.

Le Covid aura mis en lumière les limites de cette politique de réduction de postes. « Avec nos effectifs actuels, on ne peut plus absorber les crises », estime ainsi Nadège Saint-Blancard. Ces fermetures d’agences, qui ne sont une première ni en France ni dans la Drôme, risquent-elles de se reproduire ? « Oui, la direction sera amenée à le refaire, car c’est notre seul levier pour rattraper les retards, dans la mesure où l’on est limité sur les recrutements », se désole la déléguée syndicale FO. Faire toujours plus et mieux avec moins, ça fonctionne peut-être dans les cerveaux des cabinets de conseil, pas dans la vrai vie.

Thomas Sévignon

A lire le dossier dans Lien Social n°1262 « Travail social en CAF, un îlot préservé ? » et « Non au CAF bashing »