L’ActualitĂ© de Lien Social RSS


📝 Tranche d’éduc’ : T’en va pas

« Si tu l’aimes
 t’en va pas ».
Cette chanson resonne pour Ă©viter l’adieu Ă  venir qu’elle redoute tant.

Deux ans. Deux ans de placement dans notre Ă©tablissement ; deux ans de construction et de crĂ©ation de lien ; deux ans dans une vie qui n’en compte que douze.
Aujourd’hui, elle s’apprĂȘte Ă  retourner vivre avec son pĂšre, le placement va prendre fin.
Ces mots soufflent un vent de liberté déchirant, ils viennent bousculer cette vie ordonnée.

De crises en coups, d’insultes en cris, son dĂ©tachement s’amorce sans pouvoir l’expliquer. Elle, d’ordinaire si vivante, si drĂŽle, si enjouĂ©e, se ferme et se retire dans une violence inhabituelle tant surprenante, redoutable, qu’attendue. Elle ne se doute pas encore que l’attache Ă©motionnelle est au cƓur de ce que le corps exulte. Ses dĂ©bordements sont rĂ©currents. Elle brode, invente, tergiverse dans des rĂ©cits fantasques pour les justifier. Elle met Ă  mal son quotidien qui lui devient Ă©touffant, elle s’enferme dans un systĂšme de destruction ne nous laissant pas approcher cette intimitĂ© dĂ©sormais verrouillĂ©e.
Finies les effluves affectives, finies les tendres Ă©motions partagĂ©es, finies les confidences adolescentes complices, l’heure est au mutisme et Ă  la transgression. Sa chambre devient un sanctuaire impĂ©nĂ©trable, la collectivitĂ© lui est insupportable, les Ă©changes deviennent lisses et superficiels sans qu’elle ne puisse l’expliquer.
Elle avait pourtant Ă©crit une chanson. Il y a deux ans.
Elle n’avait que dix ans et rĂȘvait d’ĂȘtre peintre pour dessiner sa vie ;
Elle n’était que trĂšs jeune et criait son mal de vie ;
Elle n’avait que dix ans et rĂȘvait d’ĂȘtre actrice pour jouer Ă  sa vraie vie ;
Elle n’était que trĂšs jeune et rĂ©pĂ©tait sans cesse son besoin de vie.
Ces deux annĂ©es ont Ă©tĂ© trĂšs riches pour elle en termes d’ancrage. Elle s’est investie dans des projets, elle s’est donnĂ©e Ă  l’émotion rĂ©confortante de l’attachement, elle a brisĂ© les barriĂšres jusqu’alors infranchissables de la relation en nourrissant toujours l’espoir secret d’un jour pouvoir vivre chez papa. Mais cet espoir qui Ă©tait en fait en projet devient aujourd’hui bien rĂ©el. Les bras tendus de papa sont bien lĂ , mais cette perspective est finalement terrorisante.
Entretien formel de prĂ©paration d’audience. Echange saisissant entre une jeune fille de douze ans et sa rĂ©fĂ©rente. Confrontation apprĂ©hendĂ©e, entrevue rĂ©vĂ©latrice, rencontre libĂ©ratrice.
Les larmes ont coulĂ© pendant plus d’une heure. La jeune fille attachĂ©e a enfin pu aborder en toute sĂ©rĂ©nitĂ© ses blessures du passĂ© qu’elle a peur de voir, Ă  nouveau, se rĂ©pĂ©ter.

La petite fille veut papa,
La grande fille ne sait pas.
Elle sera entendue,
Avec une main tendue.