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► LE BILLET de Ludwig • Coups de casque

Ça s’est passé là, devant l’accueil de jour, sur le parvis. Maintenant ensanglanté. En ce matin de novembre, les corps sont déjà remplis d’alcool et les esprits bien allumés. Il ne s’en est fallu d’un rien, comme souvent, pour déclencher la baston. Un regard, un rire mal interprété, une dette de deal. Et voilà Maurice qui s’en va fracasser la tête de Paul à coup de casque de moto. Violence inouïe. Sidération de l’équipe. Appel des secours. La police débarque toute sirène hurlante. Les pompiers peu après. C’est la collègue en poste qui portera les premiers secours, épongeant la plaie ouverte au crâne, portant sur elle toute la journée les stigmates de ce matin chagrin.
Nous accueillions des publics fragilisés, en rupture, carencés, en risque de produire de la violence, et il est primordial de prendre en compte le contexte de la violence en établissement social pour la réfléchir. Il est nécessaire de savoir y faire face. Parce qu’elle provoque une réaction singulière chez chacun, une résonance en fonction de l’histoire et de la personnalité individuelle, nous réagissons de manière différente face aux situations de violences rencontrées. Que l’on soit débutant ou aguerri, les phénomènes de violence viennent nous ébranler. Ça laisse des traces !
Ces comportements violents, intentionnels ou non, dirigés vers le professionnel ou agis entre usagers, sont à comprendre comme une violence fondamentale (sic Bergeret). Les personnes accueillies réagiraient, pour se protéger contre la peur d’être détruite, par des comportements violents entre eux mais aussi en direction des professionnels. Ce n’est pas moi en tant que personne identifiée qui me fait agressée, mais ce que je représente. Ma fonction.
Cette violence de l’usager fabrique ainsi des interactions car elle rencontre d’autres personnes, usagers et professionnels, qui devront donc réagir et s’en protéger. Travailleurs sociaux, nous sommes cet objet détruit-trouvé. Merci Winnicott, on s’en serait bien passé ! Il serait alors important que nous acceptions d’être atteints par la violence, de la reconnaître, et de reconnaître que nous y sommes sensibles «  tout en survivant, en restant permanent et stable, sans se laisser détruire par les attaques en provenance des personnes accueillies ». D’où la nécessité de faire un travail sur soi, d’être formé, accompagné, encadré, écouter, reconnu face aux violences subies.
Ce n’est ici certes qu’un petit éclairage sur la question, tant il y aurait tant à dire et à décrire face aux violences institutionnelles. Mais je ne m’empêcher de penser à cette collègue, première témoin du drame, qui a tenu son poste ce jour, parce que la violence de la rue est quotidienne et qu’elle fait partie du job. J’espère qu’elle a pu déposer tout ça.