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• TERRAIN - Journal de bord - Petit journal de campagne, puisque nous sommes en guerre... (1/3)

Par Isabelle CHEVALIER et Sylvie GAULENE, Ingénieures Sociales.

Ce début d’année 2020 restera une date dans la vie de chaque habitant de la planète et pour le travail social en particulier une parenthèse exceptionnelle dont il faudra tirer les conséquences, un jour, plus tard. Pour certains nous sommes en guerre, pour d’autres c’est un fait social de masse que chacun vit chez soi.
Aujourd’hui au milieu de la tourmente, il est important de témoigner de ce qui se vit dans les équipes.
Nous parlons de notre place d’encadrant d’équipes pluridisciplinaires de service social, en territoire urbain et rural, composées de personnels confinés chez eux, soit malades ou fragilisés, soit accompagnants de leur famille, en garde d’enfant, en télétravail, d’astreinte en présentiel dans des locaux fermés, ou intervenant en urgence sur des actions prioritaires de protection des personnes. Autant de situations différentes à vivre en tant qu’agent de service public, mobilisables un peu, beaucoup ou pas du tout pour répondre aux besoins des personnes en difficultés qui, en cette période d’arrêt quasi général, se tournent vers les services publics.

1. Les besoins des personnes accompagnées pendant la crise du COVID 19.


1.1 un effet de sidération les premiers jours

Au début c’est ‘sauve-qui-peut’ : la santé et la sécurité immédiate des personnels est prioritaire, les services ferment, confinent les professionnels, les rendez-vous sont annulés, des enfants protégés sont renvoyés chez leurs parents très rapidement dès lors qu’ils disposent d’un droit d’hébergement même minimum, des personnes en situation de handicap accueillies en structure retournent à leur domicile, tous les enfants sont à la maison y compris ceux du personnel.

Le premier jour, les habitants interpellent le service social sur des questions dont certaines apparaissent sans commune mesure avec la réalité mais qui concernent leur quotidien, ils continuent à raisonner ‘comme avant’ : « Comment je dois payer mon assistante maternelle si elle n’accueille plus mon enfant ? »
Les aides à domicile, chez les personnes âgées se restreignent drastiquement, face au manque de personnel on arrête le ménage, pourtant un appelant s’indigne : « mais y’a des travaux chez ma mère, ça fait de la poussière il faut envoyer une aide-ménagère ! ».
Puis, face à la réalité de la fermeture partielle des services publics, les questions anxiogènes arrivent : « Qui va peser mon enfant ?  ». Les pharmacies louent des balances 35€ la semaine, la puéricultrice se retrouve en position de négocier un ajustement avec le pharmacien ; le privé doit continuer son activité. Quand il n’y a plus de service public, les précaires sont directement impactés.
Les assistants sociaux ne peuvent plus instruire d’aide financière car les paieries sont fermées, ce qui entraine des conséquences immédiates :« Mon locataire ne veut pas payer l’eau, on va me prélever, si vous ne voulez rien faire, je vais lui couper l’eau ». Des solidarités disparaissent en un instant : « Mon voisin ne veut plus m’amener à manger  ».

Des nouvelles tensions apparaissent dans les familles pour lesquelles les travailleurs sociaux sont interpellés : « Pouvez-vous appeler ma femme pour lui dire de ne pas amener les enfants chez les grands-parents, elle ne veut pas m’écouter !  ». Une assistante sociale, elle-même en proie à ses propres difficultés de gestion de la crise, réagit, « mais je ne peux pas faire ça !  ».

Des services caritatifs, gérés souvent par des bénévoles âgés qui doivent se confiner immédiatement, ferment. D’autres, se concertent et imaginent rapidement de nouveaux relais, en créant un réseau sur le territoire, pour ne pas laisser des personnes en précarité dans le désarroi et les travailleurs sociaux sans ces relais associatifs bénévoles qui sont des maillons indispensables de l’action sociale, depuis longtemps complémentaires du service public.

Dès ces premiers instants, on note des besoins de vérifier que le service public existe encore :
« Je vous appelle pour vous féliciter d’avoir mis à jour les informations sur la grille à l’entrée ».
Des personnes appellent plusieurs fois, comme pour vérifier qu’on répondra toujours en cas d’urgence.

Ainsi, ce premier jour, tout semble s’arrêter définitivement, il n’y a plus rien ; comment va-t-on faire « sans » ?

1.2 …mais les missions demeurent…
Le quotidien professionnel des professionnels médico-sociaux est toujours là : prévention, protection des personnes vulnérables et de l’enfance, vie sociale et insertion. Les problématiques sont inchangées mais sont exacerbées et amplifiées par ce phénomène de confinement, par cette forme d’action globale qui a conduit à l’enfermement des personnes et à un arrêt de l’activité économique et sociale. Ce danger face à une entité invisible dont chacun doit s’accommoder génère de l’angoisse et des incertitudes chez les personnes, ce qui amplifie les problématiques dans des situations déjà fragilisées et déclenche des crises dans des foyers non accompagnés jusque-là.

…et les professionnels sont présents.
Des astreintes se mettent en place, les travailleurs sociaux sont toujours à l’écoute dans un positionnement professionnel d’accompagnement mais aussi dans la gestion du déni des risques de certains, des comportements égoïstes, de la peur et de la nécessité de rassurer.
Ils restent dans la communication, le soutien mais aussi l’assistance avec le soutien des plus fragiles : personnes seules, sans domicile, personnes victimes de violences intrafamiliales.

Les vulnérabilités s’accroissent face à la crise : âge, précarité, solitude, huis clos familial, difficultés éducatives, carences éducatives s’exacerbent bruyamment.


1.3 Et puis chacun reprend ses esprits.

Au bout de quelques jours, passée la sidération, les choses s’organisent : des relais sont pris, des assouplissements de fonctionnement sont proposés, on fonctionne en mode dégradé, mais pas si mal, la confiance revient, on se pose, on réfléchit.

Des solidarités spontanées se mettent en place entre habitants sur des communes (nourriture, courses, solidarité de voisinage…). Les élus des communes, les associations comme en témoigne de nombreux articles dans la presse, proposent écoute, portage de médicaments, course, veille sociale, etc. dans le cadre de dispositifs communs de vigilance auprès des plus vulnérables, souvent les personnes âgées.
Des services caritatifs se mobilisent avec de nouveaux moyens, tel l’exemple de l’action AUTABUS de la Croix Rouge Française qui déjà inscrite dans une action d’aide alimentaire et d’accompagnement social ancrée sur le territoire a su s’adapter en proposant des points de dépôt de colis alimentaires répondant aux nouvelles normes requises par le confinement sur un secteur rural étendu. Cette réponse rapide et réactive n’a pu se mettre en place que grâce à un réseau d’acteurs communaux et bénévoles impliqué dans un système de coopération et d’interrelations. Pour Michel FIZE sociologue, ce fait social entraîne une résurgence des gestes de solidarité, une sociabilité exprimée dans les gestes de solidarité mais aussi par la ritualisation comme le geste de soutien aux soignants à 20 heures tous les jours.

Selon un médecin territorial, pour les personnes âgées, les associations d’aide à domicile essaient de jouer le jeu et diminuent leur personnel afin de respecter le confinement mais prennent en charge les situations urgentes et continuent souvent pour les autres à proposer un accompagnement téléphonique et une veille sociale. Il précise : « Les services privés, sont très réactifs et absorbent beaucoup plus l’ensemble des demandes sans trop de questions sur le fond et la protection de leur personnel ». Finalement au bout de quelques jours les plans d’aide deviennent opérationnels ; pour autant les personnes âgées refusent parfois leur mise en œuvre, réticents à faire entrer un inconnu à leur domicile.
Ainsi les demandes évoluent aussi, les besoins existent mais les priorités changent et les personnes opèrent des choix et arbitrent au profit des besoins primaires et de leur sécurité.

(à suivre « Les travailleurs sociaux pendant la crise du COVID 19)

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Retrouvez les témoignages de travailleurs sociaux en pleine crise sanitaire sous la thématique "Terrain, journal de bord" de notre rubrique Actualité.

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