L’Actualité de Lien Social RSS


• TERRAIN - Journal de bord - Les sans domicile fixe face au confinement. 3 - Les sdf fragilisés par la crise sanitaire

Par Kathleen BUJEDO, étudiante éducatrice spécialisée.

Des mesures aberrantes

La crise sanitaire liée au nouveau Coronavirus a poussé l’État à prendre une décision forte : le confinement des français à domicile. Les libertés de sortir se trouvent réduites et chacun est invité à rester chez lui. Pour les personnes qui ne respectent pas la mesure de confinement, la sanction pécuniaire est prévue.
Mais des silhouettes continuent d’errer dans les rues, faute de domicile. Gare à elles si elles ne parviennent pas à échapper au contrôle des forces de l’ordre : elles ne sont pas exemptées d’amende. Aussi incroyable soit-il, les personnes à la rue se voient encore rappeler qu’elles n’ont rien à y faire. Les dispositifs anti-SDF mis en place dans les grandes villes et les coupes budgétaires de l’État dans les structures d’insertion n’ont pas suffi à les exclure des villes.

"Des sans-abri verbalisés"

Selon l’Insee, 150 000 personnes sont aujourd’hui sans domicile fixe (SDF) en France. Les associations, elles, évoquent plutôt le chiffre de 250 000. Et, pour les SDF qui n’ont pas de place d’hébergement, c’est parfois la double peine : certains ont été verbalisés pour non-respect du confinement. Or, « quand on n’a pas de domicile, on ne peut pas y rester !  » pointe Alain Christnacht, président du Samu social de Paris. À Lyon, le préfet a assuré au Progrès avoir demandé une « enquête interne » et promet l’annulation de ces éventuelles contraventions, « contraires [à ses] instructions »(9).

Nous pouvons ainsi réaliser la fracture entre les directives le d’État et la réalité des personnes sans domicile. Des associations et des politiques ont dénoncé les verbalisations dont elles sont victimes. Il reste à espérer que ces sanctions vont disparaître, car elles ne peuvent évidemment pas se confiner dehors ni assumer des amendes à répétition. Une question émerge cependant chez moi : ces personnes ont-elles simplement été oubliées des mesures prises ou ont-elles été sacrifiées ? Dans cette situation, nous sommes bien loin de la devise nationale « Liberté, Egalite, Fraternité ».

Une autre mesure peut faire émerger de l’inquiétude. La France relâche des prisonniers en fin de peine pour éviter les contaminations en prison. Pour les personnes ayant un domicile, une famille, des proches, cette situation est bien plus confortable que l’exposition à la maladie et aux répercussions de celles-ci au sein d’une prison. Par contre, il y a encore et toujours les autres. Ceux qui n’ont nulle part où aller, personne à appeler. Ils ne pourront pas bénéficier d’un accompagnement à la sortie et seront abandonnés dans l’urgence. Dehors, ils trouveront une nouvelle prison en plein air, sans solution pour se mettre à l’abri et sans démarches d’insertion en cours.

Des dons qui deviennent impossibles
Pour ceux qui ne bénéficient pas de place en structure d’hébergement stable et d’allocations suffisantes, il devient impossible de trouver une réponse à leurs besoins primaires en cette période de crise sanitaire. Ils se retrouvent sans possibilité d’accès aux dons dont ils bénéficiaient avant la crise. Les rues sont vides et nous pouvons imaginer qu’il leur devient très difficile de solliciter de l’argent, de la nourriture ou des produits d’hygiène.
À cette situation s’ajoute la peur des passants : la crainte d’être contaminé réside chez une grande partie des français de manière légitime. J’imagine alors un autre problème : les personnes non-réticentes à faire un « don » de manière habituelle deviendraient récalcitrantes par la peur d’être contaminé en se faisant approcher.

Des personnes qui sont épuisées et exposées
« Si le contrat narcissique garantit "l’espace où le Je peut advenir" et la continuité de l’investissement d’auto-conservation pour chaque sujet et pour l’ensemble dont il est partie constituante, le pacte constitue une coproduction aliénante dans la mesure où le sujet, pour garder son identité d’appartenance, pour rester ou constituer un lien avec l’objet, accepte de s’amputer d’une partie de lui-même qui reste en souffrance. » (10)
Par tous les éléments relevés auparavant, il semble facile d’indiquer que les personnes sans domicile sont exposées à de forts risques psychosociaux. Cette période de crise est encline à favoriser leur fragilité : désocialisés, fuis, noyés dans des besoins fondamentaux sans réponse, les personnes sans domicile risquent de s’épuiser et de vivre un sentiment d’exclusion encore plus prononcé que d’habitude. Il serait légitime qu’elles se sentent oubliées et délaissées.
En effet, en échangeant avec elles, j’ai aussi compris que les tensions apparaissent au sein de ces communautés. Privées d’une partie habituelle de leurs ressources, elles sont visibles dans les rues et se retrouvent, qu’elles le veuillent ou non, amenées à côtoyer presque uniquement « leurs » pairs, rivalisant pour trouver des objets correspondant à leurs besoins. Les bénévoles qui leur procurent des denrées, avec qui j’ai échangé, ont témoigné des violences physiques, morales et verbales qui s’y déploient. En plus d’être exposés au virus et sans moyen sanitaire pour se protéger et pour accéder aux gestes d’hygiène, les personnes sans domicile risquent donc de subir de nouveaux troubles sociaux et physiques.

Des structures qui ne parviennent pas à répondre aux besoins
L’état met en place des dispositifs sur le territoire national et des directives sont aussi données par les préfectures et les municipalités : bons alimentaires distribuables, ouverture de places en structures d’urgence, d’accueil de jours, réservation de quelques chambres d’hôtel, réquisition de lieux publics et privés pour y mettre des lits… Mais, ces mesures ne sont pas suffisantes pour prétendre soutenir toutes les personnes dans le besoin car les places manquent et que les structures naissantes ne sont pas toujours adaptées aux situations individuelles. De nombreux témoignages de travailleurs sociaux épuisés et inquiets par les manques de protections disponibles tant pour leur propre santé que pour celle des personnes accompagnées sont publiés pas les médias.
Des solidarités citoyennes surgissent dans les grandes villes et tentent de pallier à ces besoins. Des maraudes bénévoles continuent dans les villes pour soutenir les personnes en difficulté et les institutions déjà présentes sur le terrain. Mais, nous pouvons nous questionner sur la temporalité de ces initiatives citoyennes. Au même titre que les travailleurs sociaux, ces bénévoles ne vont-ils pas s’épuiser risquent en s’exposant aux risques sanitaires et psychologiques de leur action.

Pour conclure…
Au quotidien, les personnes sans domicile sont soumises à d’innombrables difficultés. Elles sont fragilisées par l’absence de réponse à leurs nombreux besoins. De nombreuses représentations sociales pèsent sur elles auxquelles elles doivent parfois se conformer pour accéder à des dons alimentaires ou financiers. La crise sanitaire du COVID-19 aggrave encore ces multiples problèmes : à l’heure où nos déplacements sont limités, elles errent dans les rues, faute d’un endroit où aller, ce qui peut fortement fragiliser plus encore leur situation socialement et sanitairement parlant. L’État propose des solutions qui sont malheureusement insuffisantes à ce jour. Ainsi, nous pouvons craindre les risques psychosociaux pour ces personnes et nous inquiéter pour leur survie. En sachant que de nombreuses personnes meurent dans les rues de France tous les ans, faut-il craindre que cette crise sanitaire augmente le taux de mortalité chez les personnes sans domicile ?

(9) Thibaut Déléaz , Le Point.fr, publié le 22.03.2020
(10) De la fragilisation à la rupture du lien social : approche clinique des impacts psychiques de la précarité et du processus d’exclusion sociale, Isabelle Vandecasteele et Alex Lefebvre, Cahiers de psychologie clinique 2006/1 (n° 26)

— -
Retrouvez les témoignages de travailleurs sociaux en pleine crise sanitaire sous la thématique "Terrain, journal de bord" de notre rubrique Actualité.

si vous aussi, vous souhaitez nous faire part de votre témoignage, écrivez-nous à red@lien-social.com. (Plus de précisions)


------- ------- ------
LIEN SOCIAL : numéros 1272 - 1271 - 1270 en accès libre