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🎥 - DOCU - Et si l’on parlait des trains qui arrivent Ă  l’heure ?

Filmer les dĂ©faillances de l’Aide sociale Ă  l’enfance est devenu un vĂ©ritable marronnier mĂ©diatique. DĂ©crire la situation d’enfants passant de familles d’accueil maltraitantes en foyers collectifs nĂ©gligeants et peu sĂ©curisants constitue un bon filon pour faire vibrer la fibre Ă©motive du tĂ©lĂ©spectateur. Cela est utile et nĂ©cessaire pour dĂ©noncer les dĂ©rives qui existent. Leur proportion est un faux dĂ©bat : il n’en existerait que trĂšs peu que ce serait tout aussi insupportable.
Pour autant, la protection de l’enfance peut-elle se rĂ©sumer Ă  cela ? Un proverbe africain affirme que « l’arbre qui tombe fait plus de bruit que la forĂȘt qui pousse ». A cĂŽtĂ© de ces situations d’enfants, d’adolescents et de jeunes adultes broyĂ©s par la violence institutionnelle, il y a le quotidien de dizaines de milliers d’autres qui grandissent Ă  bas bruit dans des dispositifs qui fonctionnent aussi dans des conditions bienveillantes, chaleureuses et protectrices.
C’est ce que montre « Incas(s)ables », l’admirable documentaire de Ketty Rios Palma, qui s’était dĂ©jĂ  fait connaĂźtre par le remarquable film « ItinĂ©raires d’un enfant placĂ© ». Pour sa nouvelle production, elle a fait le choix d’une prise directe sur la vie de cinq jeunes ĂągĂ©s de 10 Ă  18 ans, accueillis Ă  Ivry-sur-Seine, dans une petite unitĂ© de l’association La Vie au grand air. Renonçant Ă  l’interview ou aux commentaires en voix off, la camĂ©ra filme sur une annĂ©e le quotidien de Kahina, Alex, Gabriel, Guillaume et JĂ©rĂ©mie. Seuls quelques encarts Ă©crits prĂ©cisent juste ce qu’il faut savoir de leur parcours pour mieux les comprendre.
Le documentaire commence par le rĂ©cit bravache d’Alex dĂ©crivant son conflit avec son collĂšge dont il justifie d’avoir fuguĂ© et se termine par le repas d’adieu de KaĂŻna qui, retournant vivre chez sa mĂšre, « Ă©value » sa relation affective avec chacun des garçons du groupe qu’elle va quitter, dans un langage que ne renieraient pas ses Ă©ducateurs ! Entre ses deux scĂšnes inaugurale et finale, se dĂ©roulent de nombreux Ă©pisodes dont la violence n’est pas exclue. Mais, elle est sous-jacente et sous-tendue par ce hayon arriĂšre dĂ©foncĂ© d’une voiture ou ce rĂ©cit de la violente crise survenue dans le bureau de la juge des enfants. Que de souffrance endurĂ©e qui se libĂšre ainsi, malgrĂ© la patiente et l’attention des professionnels ! La maltraitance familiale, la dĂ©scolarisation, les troubles mentaux ou les retards dĂ©veloppementaux sont omniprĂ©sents. Ils sont accompagnĂ©s, soignĂ©s, canalisĂ©s dans des modalitĂ©s d’encadrement qui, refusant le « prĂȘt-Ă -porter », privilĂ©gie le sur-mesure. Si la prĂ©sentation non floutĂ©e de mineurs n’est pas sans interroger, on rĂ©alise dans le mĂȘme temps combien les expressions de leurs visages sont essentielles pour entrer dans leurs Ă©motions. Et si ce vĂ©cu que le spectateur partage est fait de conflits et de tensions, il est encore plus traversĂ© par la solidaritĂ©, la fraternitĂ© et l’affection. Ce documentaire exceptionnel atteint au moins trois objectifs. PrĂ©senter avec pudeur et Ă©motion tout un pan de la protection de l’enfance qui sort rarement de l’invisibilitĂ© et de l’anonymat ; rĂ©tablir la pleine humanitĂ© de ces enfants aux comportements extrĂȘmes ; mettre en perspective les valeurs Ă©thiques qui sont au fondement de la profession d’éducateur spĂ©cialisĂ©e.
VoilĂ  un documentaire Ă  surtout ne pas rater.

Jacques Trémintin

À revoir jusqu’au 19 juin dans la sĂ©rie Infrarouge
Inacas(s)able – 2020 – (64’‘) rĂ©alisĂ© par Ketty Rios Palma
https://www.france.tv/documentaires/societe/2431943-incas-s-ables.html