N° 1327 | Le 15 novembre 2022 | Critiques de livres (accès libre)

Troubles psychiques en milieu scolaire

Pauline Blum, Jean-Marc Goudet et Florence Weber (sous la direction)


Éd. Rue d’Ulm, 2022, (279 p. - 20 €) | Commander ce livre

Thèmes : École, Psychiatrie

L’école qui rend fou

INTERROGER l’école sur ce qu’elle met en œuvre pour les élèves rencontrant des problèmes mentaux aurait déjà constitué un projet intéressant. Mais poser la question de sa responsabilité dans l’émergence des troubles psychiques chez les enfants passant entre ses mains est, certes un tantinet provocateur, mais éminemment réaliste. Car, en un temps où le monde de l’entreprise est sollicitée pour prévenir les risques psycho-sociaux induits par les conditions de travail de ses salariés, il semble légitime de le faire aussi pour les élèves. C’est ce travail d’enquête ethnographique qui y répond, proposant des réponses brutales et sans concession. Huit études de cas sont présentées, dans une diversité contre-intuitive. Si l’on suit le parcours en ITEP d’Éric ou celui d’Audrey issue d’une famille carencée et dysfonctionnelle, il était moins attendu de plonger dans les milieux favorisés et plus particulièrement de ses «  riblons  » (métaphore évoquant les déchets métalliques du laminage récupéré, par les ouvriers pour en faire autre chose). Si les perdants de la compétition scolaire se retrouvent dans les établissements de relégation, ils sont aussi dans les lycées d’élite, qui pour être les antichambres des grandes écoles, le sont tout autant pour les cliniques psychiatriques ! La raison pour laquelle l’école est pourvoyeuse de maladies mentales tient en une réalité qui n’a fait que s’exacerber depuis le début des années 2000 : l’instruction obligatoire pour tous s’est muée en obligation de réussite pour tous, l’école de la connaissance a été remplacée par l’école de la performance et la concurrence entre lycées et entre élèves est devenue l’alpha et l’oméga de la réussite exigée. Les élèves abîmés, cabossés, fracassés qui sont rejetés par la sélection implacable menant aux filières d’excellence se vivent comme des ratés, discrédités par le déshonneur d’avoir failli à la mission de succès qui leur était confiée. Les normes d’autonomie et les injonctions à la réalisation de soi ayant remplacé la critique des effets destructeurs de la compétition, les difficultés scolaires sont médicalisées, psychologisées, voire psychiatrisées, renvoyant à l’élève la totale responsabilité de son échec. Le poids du conformisme social et des normes scolaires intervenant désormais dès la maternelle, la pédopsychiatrie ne risque pas de chômer.

Jacques Trémintin


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