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📝 Tribulations d’une assistante sociale de rue ‱ Dans la peau de l’autre


Assistante sociale, je suis moi-mĂȘme Ă  la recherche d’un logement (1). Confiante dans un premier temps que cette prĂ©caritĂ© ne sera que ponctuelle, un an plus tard, rien n’a rĂ©ellement Ă©voluĂ© et mes rĂ©solutions vacillent.

Ici, commence une forme d’ironie. StratĂ©giquement et afin d’appuyer un recours au Droit au logement opposable (Dalo) (2), je prends rendez-vous avec l’assistante sociale d’entreprise. Une note sociale appuie systĂ©matiquement la dĂ©marche que j’enclenche. Diantre, fichtre et mazette, l’assistante sociale qui prend rendez-vous avec l’assistante sociale !

Le jour dit, je patiente dans une salle d’attente, comme le font les personnes que nous accueillons. Je remarque que les services sociaux d’entreprise ont l’air d’avoir plus de moyens que nous autres, travailleurs de rue. Eux, ils ont de la moquette et des bibliothùques scintillantes

Puis, cette assistante sociale me reçoit et me fĂ©licite d’avoir rempli le formulaire sans erreur et toute seule – comment dire Mademoiselle : c’est aussi mon boulot ! – avant d’exprimer une vaine compassion face au public Ă  la rue avec lequel je suis en lien : « vous avez vraiment un travail difficile ».

Cet entretien brutalise mon Ă©go. Bien que ma dĂ©marche soit stratĂ©gique, elle m’oblige Ă  accepter d’ĂȘtre dĂ©possĂ©dĂ©e aussi bien de ma position d’adulte, que de celle d’assistante sociale. Le simple fait qu’elle puisse me fĂ©liciter m’infantilise. Aller rencontrer l’assistante sociale m’oblige aussi Ă  accepter que je ne sois plus celle qui a la connaissance, mais celle qui a besoin d’aide, m’astreignant Ă  me dĂ©possĂ©der de mon savoir car, dans cette rencontre, c’est elle qui sait. En tout cas, je dois m’en convaincre


Lors de cet Ă©vĂšnement et de tous ceux qui s’enchaĂźnent sur la question de mon relogement, j’ai le sentiment de me retrouver dans la peau de l’usager, alors que je ne le serai jamais rĂ©ellement puisque mon parcours et mes expĂ©riences de vie ne m’ont pas marquĂ©e d’autant de ruptures que les personnes que j’accompagne. De lĂ , ma rĂ©flexion dĂ©coule sur une question qui m’effraie : faut-il faire preuve d’ignorance ou ĂȘtre en demande pour obtenir quelque chose ? Avoir besoin d’aide ne suffirait-il pas ?

Cette expĂ©rience m’oblige Ă  questionner la position de l’autre. Suis-je comme l’assistante sociale que j’ai rencontrĂ©e Ă  infantiliser les adultes que je reçois en entretien ? A vouloir aider ou accompagner, comment cet Ă©lan peut-il provoquer une violence chez celui qui n’est pas prĂȘt Ă  avoir besoin d’aide ?
Cette position, dans la peau de l’autre, m’a confrontĂ©e Ă  ma propre pratique professionnelle et ne peut que me permettre de la faire Ă©voluer et ainsi tendre vers plus de comprĂ©hension et d’empathie envers les personnes que je reçois.

(1) Cf. La légende du cordonnier, publié le 23/02/2022
(2) Loi du 7 mars 2005