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Il fait une entrée fracassante dans le bureau. Midi et demi, il ouvre la porte comme il n’en avait pas l’habitude, et fier, les épaules relevées, le dos droit, la tête tenue, il déclame à qui veut l’entendre : « Je pars, je fugue, ciao les éducs’ »
Malencontreusement pour lui, ou pour moi, j’étais seule à avoir assisté à cet éclat et à entendre son annonce finalement pas si surprenante.
Depuis quelques jours déjà, il se faisait discret au foyer. D’ordinaire bout en train, il est toujours au cœur de l’action et désormais nous ne le voyons que peu, nous ne l’entendons pas, et lorsqu’il nous arrive de le croiser, il sourit. Comportement étrange que nous expliquons par l’adolescence qui pointe grandement le bout de son nez. Treize ans et tout d’un grand.
Inexplicablement, des fruits disparaissaient, des bouteilles de lait, des biscuits, des pâtes, des gels douche. Tous les stocks baissaient rendant perplexe l’équipe jusqu’à cette entrée en fanfare qui vint redonner du sens à tous ces mystères.
Face à cette annonce tonitruante, je ne pus m’empêcher de le questionner sur la résonance qu’il attendait avec cet effet d’annonce dont je ne savais que faire. Assez désarçonné, il me répond simplement que c’est son affection pour nous qui l’a poussé à nous prévenir. Il ne voulait pas nous inquiéter.
Une longue conversation en a découlé. Sans savoir qu’elle prendrait cette consistance, sans soupçonner la chute que cette histoire aurait, nous nous prêtons au jeu de l’échange sans barrière. Il pose son sac à dos, que je devine lourd, et commence son récit.
Très bien ficelé, introduction, hypothèse, argumentaire, contre théorie, conclusion, mise en action. Je suis impressionnée par ce raisonnement parfaitement maîtrisé, réfléchi, compréhensible et presque convaincant. Il déguise cette fugue en voyage. Il ne connait ni le concept, ni le mot « initiatique », mais c’est tout comme. Il souhaite se retrouver avec lui-même. Il ne va pas très bien ces temps-ci, ne laissant personne entrer dans son univers. Son constat est qu’il ne peut plus trouver en nous le soutien dont il a besoin. Aujourd’hui, il se sent prêt à voler de ses propres ailes et à aller s’essayer, seul, dans « le vrai monde » comme il l’appelle. Il me parle de tous les dangers extérieurs, il anticipe toutes mes questions, toutes mes réactions, il m’explique à quel point il serait débrouillard dans cette nouvelle vie. Il me démontre ses capacités de survie par des exemples tous plus concrets les uns que les autres ; il liste les situations qui pourraient être difficiles à vivre en exposant ses plans pour les surmonter ; il fait en sorte de me rassurer en ressortant toutes les phrases et conseils que nous avons pu lui donner en ces deux années ensemble. Il est conscient de l’implication émotionnelle et institutionnelle que nous avons avec les enfants que nous accompagnons, et en ce sens, il vient nous prévenir. Par cette annonce, il pense nous dégager de toutes responsabilités.
Ce qu’il ne dit pas c’est, où il va ? Quel est son chemin ? Quel est son projet de route ? Cette question restera sans réponse jusqu’à cette heure tardive où il rentrera dans des circonstances fracassantes.