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📝 Tranche d’éduc’ ‱ Mes chers Ă©duc, je pars (2)

Le 12 octobre vous avez dĂ©couvert le projet d’accomplissement personnel, nommĂ© plus communĂ©ment « Fugue », d’un jeune garçon. (Ă  lire ou relire ici) Mais comme tout projet... sa mise en place prend souvent des tournures inattendues... Suive- le aujourd’hui dans cette nouvelle Ă©tape de rĂ©alisation de soi, oĂč l’appel du ventre sera tout aussi important que l’appel du lit.


L’autre ombre au tableau, et pas des moindres, c’est qu’il embarque avec lui son meilleur copain. Un petit bonhomme de neuf ans, ce petit homme collĂ© Ă  la vitre du bureau depuis un bon moment. Je le fais entrer Ă  son tour pour avoir sa version du pĂ©riple Ă  venir. Sa motivation vient de son dĂ©vouement amical si puissant qu’il ne peut refuser cette invitation au voyage. Pourtant, il avoue avoir peur. Il apprĂ©hende leur premiĂšre nuit dehors. Il a peur des loups, des araignĂ©es, des sangliers, des serpents, des hiboux, des ours, des aigles et aussi des grenouilles. Mais ce qui lui fait peur par-dessus tout, c’est le noir de la nuit et les bruits alentours. Dure rĂ©alitĂ© Ă  laquelle il va s’affronter. Mais notre grand aventurier le rassure. Il sera lĂ  pour le protĂ©ger et s’ils en viennent Ă  croiser l’un de ces prĂ©dateurs, il saura le tuer pour le cuisiner et nourrir son petit copain de voyage.
Les deux garçons rĂ©pondent Ă  toutes mes questions, rĂ©torquent Ă  toutes mes inquiĂ©tudes, dĂ©montent tous mes arguments et font mine de mettre fin Ă  la conversation quand j’entame la partie moins rigolote : la confrontation au rĂ©el. Sauf que nous avions un deal. Je les laisse me parler des heures s’il le faut, ils doivent aussi Ă©couter ce que j’ai Ă  leur dire.
Je leur explique toute la procédure de fugue.
Je leur parle de police, mĂȘme de gendarmerie. Je leur Ă©nonce la procĂ©dure interne, mais Ă©galement la procĂ©dure liĂ©e Ă  la protection de l’enfance. J’évoque l’aide sociale Ă  l’enfance, le juge et 
 les parents. Ils discutent entre eux, font des messes basses et jouent mĂȘme avec les peluches posĂ©es sur mon bureau. Mais lorsque “papa et maman” apparaissent dans ce long monologue, je sens les petites oreilles se tendre. Le plus jeune finit par baisser la tĂȘte et demande Ă  son camarade s’il peut quand mĂȘme me poser une question. Il se lance avec une grande inspiration et finalement un flot de questions dĂ©ferle : « Mais tu vas appeler ma mĂšre ? Et tu vas lui dire quoi ? Et si elle pleure tu vas faire quoi ? Et si elle le dit Ă  mon pĂšre, tu crois qu’il va la taper ? Et la police si elle nous retrouve, elle va nous mettre en prison ? Et la juge quand elle le saura, elle va nous changer de foyer ? Et qui va dormir dans notre chambre quand on sera parti ? Et vous allez prendre de nouveaux enfants, dĂšs demain ? »
C’en est trop. Le grand s’impatiente. Il n’a peut-ĂȘtre pas envie d’entendre les rĂ©ponses Ă  toutes ces questions. Il ordonne au plus petit de prendre ses affaires et me prĂ©vient, l’heure du dĂ©part est arrivĂ©e.
Retournement de situation, une de mes collĂšgues rentre Ă  cet instant. Un silence poignant est installĂ© dans ce grand bureau. Elle Ă©clate de rire face Ă  cette situation Ă©trangement pesante sans savoir de quoi il en retourne. Je lui explique briĂšvement le projet de ces messieurs qui profitent de notre dos tournĂ© pour prendre la porte sans un bruit. Nous tentons bien de les arrĂȘter mais en vain. Ils sont bel et bien partis.
Notre conversation aura durĂ© deux heures et quinze minutes. Ils auront pris la poudre d’escampette en moins de cinq minutes se faufilant dans des trous de grillage prĂ©alablement creusĂ©s.
Procédures enclenchées. Branle-bas de combat amorcé.
Trois patrouilles de gendarmerie, un hélicoptÚre et un chien sont déployés sur le territoire pour les retrouver. Le foyer est en effervescence.
Minuit et dix minutes nous sommes en alerte Ă  la vue des lumiĂšres bleues qui remplissent la piĂšce. Des voitures se font entendre, les fourgons suivent, les chiens hurlent. Nous sommes pris d’une petite apprĂ©hension. Nous espĂ©rons surtout qu’ils les aient retrouvĂ©s sans Ă©gratignures.
Ils sont lĂ . Sains et saufs.
Le petit se jette dans nos bras, il a eu peur, trĂšs peur.
Le grand est stoĂŻque. Il Ă©coute d’une oreille le sermon des gendarmes en mangeant son “Sneakers” et son “Mars” gentiment donnĂ©s par les patrouilles. De longues minutes plus tard, les Ă©quipes de sauvetage mettent fin Ă  cette intervention et prennent la route.
AussitĂŽt, la porte du dernier vĂ©hicule claquĂ©e, notre grand garçon jette ses papiers de biscuits au sol pour se libĂ©rer les mains afin de leur faire son plus beau geste d’honneur accompagnĂ© de sa plus belle insulte. Mais Ă  la vue de la portiĂšre qui se rouvrait, il prit la fuite. Non plus dans la forĂȘt mais dans sa chambre oĂč son lit douillet l’attendait comme Ă  l’accoutumĂ©e.
OĂč Ă©taient-ils ? Dans une maison abandonnĂ©e Ă  quelques kilomĂštres du foyer. Ils ont Ă©tĂ© retrouvĂ©s par les chiens, balais en main, faisant un brin de mĂ©nage avant de dĂ©guster une belle carcasse de poulet trouvĂ©e sur leur route, dans une poubelle. Ils n’eurent finalement pas le temps de savourer leur festin. Cette Ă©popĂ©e s’est soldĂ©e par deux jours clouĂ©s au lit, la fiĂšvre a eu raison d’eux.