N° 1261 | Le 12 novembre 2019 | Critiques de livres (accès libre)

Mais qui veut la mort de la prévention spécialisée ?

Pascal Le Rest


Éd. L’Harmattan, 2019 (210 p. – 22,50 €)

Thème : Prévention spécialisée

Sans fleurs, ni couronnes

Le portrait que l’auteur nous dresse de la prévention spécialisée pourrait s’apparenter à une chronique nécrologique. Les éducateurs de rue sont nés, non d’une philosophie de l’action ou d’un corpus théorique, mais de pratiques isolées aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale : occuper l’espace public de la rue et y improviser des activités pour des jeunes en danger et / ou dangereux qui en ont fait leur terrain de jeux et de vie. Cette approche innovante séduit alors comme alternative à l’internat et passe de sept clubs et équipes en 1951 à quarante-trois en 1961, deux cent soixante-trois en 1973 et six cent dix-huit en 1986. La prévention spécialisée est légalisée par l’arrêté interministériel du 4 juillet 1972 et plusieurs circulaires officialisent ses principes d’intervention : la libre adhésion (le jeune peut accepter ou non l’accompagnement proposé), l’absence de mandat nominatif (de la part ni du juge ni de l’Aide sociale à l’enfance), l’anonymat (aucune identité ne peut être communiquée) et la non-institutionnalisation (un relais doit être pris en cas de pérennisation). Quand elle s’implante sur un territoire, l’équipe commence par se montrer, en y déambulant, tentant de se faire accepter par les jeunes qui y vivent. Cette présence physique au quotidien offre une disponibilité et une écoute potentielle, permettant d’affiner par touches successives la connaissance des problématiques et favorisant la co-construction d’un diagnostic avec les habitants et les partenaires institutionnels. C’est ensuite que l’équipe cherchera
avec les jeunes concernés les réponses possibles à leurs difficultés d’insertion.
Mais la prévention spécialisée ploie sous les coups de boutoir. La décentralisation de 1985 l’a fait passer sous le contrôle des élus du conseil départemental, qui lui demandent des comptes, exigeant la visibilité de l’action menée. La loi de 2002 confirme cette attente, lui imposant comme à toute structure médico-sociale une évaluation interne et externe. Les violences urbaines de 2005 incitent l’État à attendre qu’elle règle les problèmes de l’enfance délinquante, faisant basculer son paradigme de l’éducatif vers le répressif. Puis vient la commande de pallier les effets pervers de la dégradation des cités les plus pauvres. Aujourd’hui, l’éducateur de rue est sollicité comme auxiliaire des services de renseignement, face à la radicalisation et au terrorisme. La confiance tissée avec patience et bienveillance avec la population
risque de ne pas y survivre.

Jacques Trémintin


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