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Le Billet de La Plume Noire : dessous de table

En lisant l’évaluation faite par le chef de service, François Durand, éducateur spécialisé de son état, n’en revenait pas. Un éloge pour cet étudiant en deuxième année de formation qui venait de terminer ce stage en MECS. Incroyable que le chef vante à ce point ses qualités. Pourtant, lors de sa dernière réunion, François n’avait pas mâché ses mots, ce qui n’avait pas plu aux membres de l’équipe, notamment à une Zéduc qui avait souligné qu’un stagiaire devait rester à sa place de stagiaire. Etrange endroit cependant que cette MECS au sein de laquelle les éducateurs ne mangeaient pas avec les enfants et se partageaient quotidiennement et selon la saison un pichet de rouge ou de rosé payé par la maison. Un vrai foutoir qui s’était d’autant plus manifesté quand il avait été question de repenser et réécrire le projet de service. Incapable de mettre des mots sur la pratique, cette équipe de Zéducs séchait devant la feuille blanche. Il en allait de même des réunions hebdomadaires durant lesquelles le chef dans son fauteuil en cuir et derrière sa table en olivier massif faisait son show et se perdait en ragots et autres bruits de couloirs dont tout le monde se délectait et ce d’autant plus que ses dires concernaient toujours les autres jusqu’à en devenir jouissif lorsque cela touchait le glauquissime de certaines situations familiales des usagers. Cette équipe ne pensait pas son travail et ainsi seuls les gosses étaient la cause du bordel ambiant ce qui procurait au Zéduc René toute légitimité pour régler les problèmes à coups de torgnoles. De son côté, Betty, froide et distante, vivait toutes ses heures passées avec les gamins comme un cauchemar tandis que Sabrina qui ne cessait d’avoir des heures à récupérer arrivait toujours en retard. Seul Alain tenait à peu près la route mais son côté légèrement neurasthénique ne pouvait que rajouter à cette ambiance délétère.
François, après concertation avec lui-même, avait décidé de manger avec les gamins et de boire de l’eau ; geste au combien subversif. Au cours d’un des repas, il avait filé une claque à un gamin. Cela devenait contagieux. Il est vrai que ces enfants étaient pour le moins agités mais pouvait-il en être autrement quand on savait tout le monde riait parce que le veilleur de nuit pouvait parfois obliger certains gosses à rester debout dans la cuisine en pleine nuit parce que ces derniers ne s’endormaient pas. Les Zéducs s’en allaient souvent sans avoir pris soins d’accompagner ce temps du coucher. Parfois, les angoisses surgissaient et le veilleur possédait sa technique. Chacun son style après tout.
Bref, le jour de son bilan, en réunion d’équipe, l’éducateur stagiaire avait dit tout ce qu’il avait sur le cœur. Les Zéducs, outrés, s’étaient énervés. La note allait être salée mais contre toute attente le chef de service s’était interposé et avait donc pondu cette dithyrambique évaluation.
Quelques années plus tard François appris que ce chef avait démissionné. Pris la main dans le pot de confiture, la direction s’était aperçue qu’il détournait l’argent de poche et de vêture de certains jeunes. Nulle plainte de déposée. Cela aurait fait tâche. La plainte, c’est exclusivement à l’encontre des usagers. Ici, une démission avait suffi.
Soudainement, tout s’éclairait. Avec cette évaluation, le chef de service avait acheté son silence.