N° 1345 | Le 14 septembre 2023 | Par Sylvie Gasienica-Jozkowy, ex-éducatrice spécialisée en UEMA | Espace du lecteur (accès libre)

Inclusion, vous avez dit inclusion ?

Thèmes : École, Éducateur spécialisé, Autisme

L’inclusion semble aujourd’hui le maître mot à la mode pour favoriser l’apprentissage des enfants atypiques ou en difficulté. Cependant, le système scolaire classique ne paraît pas être préparé à s’adapter aux différences, mais plutôt au formatage. Avis à débattre.

Si aujourd’hui j’ai décidé d’écrire, c’est parce qu’il y a quelques mois, j’avais perdu la voix. Au sens propre. Bien sûr, ça n’a été que temporaire, hélas penseront certains, mais c’est assez symptomatique de ce que j’ai vécu dans mon quotidien professionnel.
En voulant défendre ce que je croyais être la bientraitance et le respect des besoins des enfants autistes avec lesquels je travaillais, j’ai dû me rendre à l’évidence : l’éducation «  adaptée  » dans des dispositifs spécialisés n’est ni plus ni moins qu’une façon différente de faire rentrer les enfants dans la norme «  quoi qu’il en coûte  », mais ce qui est bien plus grave, il ne s’agit pas de coût seulement financier, mais de coût psychologique et physique.
Priorité à l’inclusion. Sous ce mot plutôt noble si on le considère comme opposé à l’exclusion, se cachent en réalité un tas de petites et douces violences qui permettent de satisfaire les besoins de la société de se rassurer sur son humanité, et ceux des professionnels que nous sommes de nous sentir utiles et respectables.
Sous couvert de vouloir le meilleur pour tous ces enfants différents, nous leur imposons notre vision des choses, nos projets, nos objectifs, notre rythme. Si je suis d’accord sur le principe de les aider à s’intégrer dans la société, c’est uniquement si l’intégration leur est bénéfique et épanouissante. Or la question ne se pose même pas. Être intégré socialement, c’est atteindre le Saint Graal. Notre pensée de neurotypique et d’être social ne peut pas envisager autre chose. Mais c’est surtout sur la définition de l’intégration que je m’interroge. «  Intégré  » est un participe passé. Quelque chose qu’on subit et non pas qu’on agit. «  S’intégrer  » est une action, que le sujet accomplit de son plein gré. Intégrer quelqu’un, c’est accepter de le faire rentrer dans notre monde, mais pour cela il doit montrer patte blanche et donc correspondre à ce qu’on attend de lui… Mon combat n’est pas d’intégrer à tout prix, mais d’être intégrant. D’accepter les personnes dans mon monde tel qu’elles sont, comme j’aimerais aussi être acceptée telle que je suis. Nous sommes à des années-lumière de cette société d’inclusion que nous prétendons être. Nous enseignons à nos enfants comment devenir quelqu’un d’acceptable en leur servant sur un plateau du prêt-à-penser.
Le système éducatif a dicté un ordre quasi immuable des choses à apprendre. Il ne vise qu’un seul objectif : formater les enfants.
On a beau se targuer de nouvelles pédagogies ou de nouveaux apprentissages, le but n’a pas changé. Il ne vise pas l’épanouissement de l’individu, mais son adhésion à un ordre établi en lui donnant l’illusion qu’il a choisi cette voie. La majorité s’y conforme parfaitement, et c’est ainsi que la société reste «  vivable  » ou «  survivable  », mais pour certains, de plus en plus nombreux, l’éducation telle qu’elle a été pensée ne répond plus aux besoins. C’est ainsi qu’on voit des enfants ou des adultes décrocher, rechercher un meilleur «  ailleurs  », se marginaliser, se radicaliser ou se suicider socialement ou plus radicalement encore. Voilà comment notre belle société d’inclusion n’inclut que ses semblables et met tous ses efforts pour inculquer à chacun la bien-pensance et la bienfaisance en niant totalement la capacité de chacun à choisir pour lui-même ce qu’il a envie d’apprendre, de comprendre ou de devenir.
À ce sujet, j’invite tous les gens intéressés à lire les ouvrages de Carl Rogers qui devraient être les livres de chevet de chaque enseignant digne de ce nom.
Est-il besoin de détailler le contenu d’un programme scolaire ? Intéressons-nous plutôt au non-contenu. Par exemple les besoins fondamentaux physiologiques de l’enfant ne font pas partie visiblement, d’après ce que j’en ai vécu dans mon travail, d’une priorité. Le rythme scolaire prime sur l’assouvissement de ses besoins. C’est d’ailleurs le point de friction qui m’a faire perdre la voix… nous sommes obligés de stopper la sieste de nos petits autistes pour qu’ils aient leur temps d’apprentissage prévu, quel que soit l’état émotionnel qui s’ensuit. Et même si le comportement qui en résulte rend l’apprentissage contre-productif, ce qui compte c’est d’inculquer le rythme de travail !
C’est pourtant “l’école de l’épanouissement et du langage”, dixit les programmes de l’école maternelle. Que peut-on y lire ?
“Affirmer leur personnalité” : oui, mais… Il ne faudrait pas croire que nos petits peuvent négocier une activité préférée, si c’est dans le programme, tu le fais, si ça n’y est pas, tu ne le fais pas. Tu affirmeras ta personnalité un autre jour et ailleurs, peut-être en te bastonnant avec tes camarades dans un coin bien planqué de la cour. Et si tu te fais attaquer par un camarade à la récré, tu vas le dire à la maîtresse, c’est le tout premier apprentissage de la délation et de la non-confiance en ses capacités à se défendre soi-même.
“Mobiliser le langage dans toutes ses dimensions”, mais là encore attention, le langage socialement acceptable, celui de Molière uniquement. Pas de place à d’autres langages que l’enfant peut utiliser quand il ne trouve pas comment s’exprimer par des mots parce qu’on ne forme pas les enseignants à comprendre et à gérer le langage du corps, le langage des émotions. C’est comme ça qu’on trouve de petits êtres malmenés par la vie qui ne parlent qu’avec leurs poings ou leurs cris et qu’on retrouvera très vite en établissements spécialisés parce que le langage qu’ils auront mobilisé n’est pas accepté, pas compris, pas entendable par l’école de la République.
"Agir et s’exprimer, comprendre à travers l’activité physique” : oui, mais pas de tricycle dans la descente de la cour, trop dangereux (c’est ainsi qu’on n’apprend pas non plus la prudence, ni celle du cycliste ni celle du piéton), pas de boules de neige ou de glissades, pas escalader sauf ce qui est prévu à cet effet (beaucoup moins motivant), bref, vivre dans un cocon de pseudo sécurité et en faire des adultes en devenir peu préparés à la «  vraie vie  ».
«  Les amener à dépasser peu à peu leur propre point de vue et à adopter celui d’autrui  » sont les vrais mots du programme de maternelle. Pas besoin de commentaires, ça veut bien dire ce que ça veut dire… qui se cache derrière «  autrui  » ?
Et le meilleur pour la fin : “explorer le monde”… mais depuis la salle de classe comme le poisson explore la mer depuis son bocal, excepté 5 à 6 jours dans l’année où on sort de l’école pour des activités exceptionnelles.
J’espère que les enseignants géniaux qui sortent de ce carcan contamineront tous les autres à faire de la désobéissance civile face à un système scolaire réducteur et de plus en plus inadapté à la société actuelle.
Comment faire aimer l’école à des enfants quand le système scolaire, depuis la maternelle, est construit sur la contrainte, le non-choix, la soumission à des règles souvent absurdes et incohérentes ? Comment faire s’épanouir des enfants dont on ne respecte pas les besoins fondamentaux ? On devrait avant toute chose demander aux enfants comment ils vont lorsqu’ils font leurs premiers pas dans la classe, les amener d’abord à s’intéresser à ce qu’il se passe dans leurs corps et à décrypter leurs émotions, pour mieux s’intéresser à celles des autres. C’est en se respectant soi-même et en étant respecté que l’on peut respecter autrui. C’est en choisissant ce qu’on aime que l’on trouve la motivation d’aller explorer plus loin. Pour conclure, je citerai cette phrase de Michel Tardy «  L’éducation ne consiste pas à gaver, mais à donner faim  ».