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🎥 CINÉ ‱ Bavures policiĂšres

Dans la nuit du 5 au 6 dĂ©cembre 1986, Malik Oussekine meurt matraquĂ© par la police lors d’une manifestation estudiantine Ă  Paris. La mĂȘme nuit, un policier ivre tue Abdel Benyahia, lui aussi jeune Français d’origine Ă©trangĂšre. Le film Nos Frangins retrace ces deux crimes.


Pour toute une gĂ©nĂ©ration, proche de SOS racisme dans les annĂ©es 80, la mort de Malik Oussekine - qui a embrasĂ© toute la France -, reste gravĂ©e dans les mĂ©moires ; celle d’Abdel Benyahia est moins connue. Dans son film Nos Frangins, le rĂ©alisateur Rachid Bouchareb rappelle comment ces deux jeunes innocents ont perdu la vie au moment des manifestations contre la loi Devaquet, l’un dans le quartier de La Sorbonne, l’autre Ă  Pantin (Seine-Saint-Denis). Aucun des deux n’était d’ailleurs rattachĂ© Ă  ce mouvement de jeunesse qui luttait contre la sĂ©lection Ă  l’entrĂ©e des facultĂ©s. Rachid Bouchareb a travaillĂ© avec les familles, sans les faire se rencontrer, car leur douleur ne s’est toujours pas refermĂ©e.


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Cette nuit-lĂ , Malik sortait d’un club de jazz, il circulait au milieu des manifestations quand il a Ă©tĂ© poursuivi par deux policiers-voltigeurs Ă  moto. De la bouche des journalistes de France 2 de l’époque, on entend qu’il habitait le 17e arrondissement, qu’il serait un phalangiste libanais chrĂ©tien, car une Bible a Ă©tĂ© retrouvĂ©e sur lui, ce qui Ă©tait faux, comme l’atteste son grand frĂšre Mohamed. Malik, Ă©tait nĂ© Ă  Versailles (Yvelines), de parents algĂ©riens immigrĂ©s en France depuis 30 ans. Il avait une santĂ© fragile. ScolarisĂ© en Ă©cole privĂ©e, il voulait se convertir au catholicisme pour « mieux s’intĂ©grer dans la sociĂ©tĂ© française ». Sa sƓur Sarah et son frĂšre Mohamed, Ă©duquĂ©s, comprennent tout de suite Ă  la morgue qu’il faut se dĂ©fendre et font appel Ă  MaĂźtre Kiejman. Puis ils mĂšnent l’enquĂȘte.


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Pour Abdel, c’est trĂšs diffĂ©rent. Les faits se sont dĂ©roulĂ©s dans un cafĂ© Ă  Pantin : un policier ivre (1,86 grammes d’alcool dans le sang) l’a frappĂ© Ă  mort, alors qu’il voulait sĂ©parer deux hommes qui se battaient. On cache tout de suite sa mort Ă  son pĂšre – fragile et modeste - travaillant dur comme garagiste, qui ne comprend pas qu’on lui ment. On l’intimide en lui demandant de mieux garder ses deux fils, on ne lui rĂ©vĂšle rien et c’est en fait la rumeur de la rue autour de Malik qui permet d’accĂ©lĂ©rer le moment de la rĂ©vĂ©lation du dĂ©cĂšs. Le pĂšre abasourdi a du mal Ă  croire son deuxiĂšme fils, ainsi que Catherine, l’amie d’Abdel, qui pourtant tĂ©moignera au tribunal que celui-ci a bien pris une balle. Elle se fera mĂȘme traiter de demi-Française parce qu’elle frĂ©quentait un Arabe.


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Archives importantes

Ce film trĂšs documentĂ© (images d’archives sur les violences autour du Luxembourg, dans l’amphi Richelieu de La Sorbonne, Place des Invalides
), permet de comprendre comment ces deux affaires ont Ă©tĂ© prises dans un large kalĂ©idoscope, faisant des amalgames, abusant du pouvoir policier pour faire de fausses dĂ©clarations Ă  la presse et impressionner deux familles.


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Charles Pasqua, alors ministre de l’IntĂ©rieur (RPR), a Ă©touffĂ© le plus possible les deux bavures survenues la mĂȘme nuit et gĂ©rĂ©es par la Police des polices. L’accĂšs aux informations de l’affaire Abdel est toujours impossible 35 ans plus tard. On lit dans le gĂ©nĂ©rique de fin que le policier qui l’a tuĂ© a Ă©tĂ© condamnĂ© Ă  sept ans de rĂ©clusion, mais qu’il est sorti au bout de quatre. Pour le crime contre Malik, les deux "policiers-voltigeurs", jugĂ©s aux assises, ont Ă©copĂ© de cinq et deux ans de prison avec sursis. AprĂšs ces crimes, le ministre Alain Devaquet a dĂ©missionnĂ© de ses fonctions et la rĂ©forme des universitĂ©s a Ă©tĂ© abandonnĂ©e. Le sinistre peloton des voltigeurs autoportĂ©s a aussi immĂ©diatement Ă©tĂ© dissous.

AgnĂšs Montagne


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Nos Frangins, un film de Rachid Bouchareb, avec Reda Kateb, Lyna Khoudri, Raphaël Personnaz, Samir Guesmi. Distribution Le Pacte, 1 h 32. Sortie en salles le 7 décembre .



À lire aussi :
Violences policiĂšres. Des jeunes Ă  la barre, dans le dossier Policiers et Ă©ducateurs. Meilleurs ennemis , paru dans Lien Social n° 1283 le 10 novembre 2020.


Note de Marc Ball, rĂ©alisateur du documentaire IllĂ©gitime violence dont parle le reportage (LS 1283), retournĂ© quatre ans aprĂšs dans le quartier populaire parisien qu’il a filmĂ©. Des jeunes victimes de contrĂŽles abusifs et illĂ©gaux ont Ă©tĂ© Ă  l’origine d’un procĂšs historique et de la condamnation de l’État. « MalgrĂ© le procĂšs, malgrĂ© la condamnation de l’État au civil, malgrĂ© l’attention mĂ©diatique, malgrĂ© la mobilisation locale, rien ne semble changer sinon pour le pire, dĂ©nonce le rĂ©alisateur. Aujourd’hui, les jeunes de la plainte doivent indemniser les fonctionnaires de police pour diffamation. Et Ă  la violence physique s’ajoute maintenant une violence Ă©conomique, certains adolescents Ă©tant endettĂ©s de plusieurs millions d’euros Ă  cause des amendes Ă  rĂ©pĂ©tition. »

Visionner le documentaire IllĂ©gitime dĂ©fense :

Police, illégitime violence : 4 ans après from Talweg production on Vimeo.