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► BILLET - Chasse aux sorcières en Loire Atlantique

Lien Social avait posé la question, lors de ses journées d’étude de 1999 : « les travailleurs sociaux doivent-ils être des militants ?  ». Parmi les 365 participants, 80 % d’alors avaient répondu « oui ».
Autre temps, autre mœurs.
Christel Husson n’a jamais caché son engagement militant, qui avait d’ailleurs été considéré par la commission de recrutement comme un atout. Et, de fait, elle fut embauchée en connaissance de cause comme cheffe de service en prévention spécialisée sur l’antenne de Saint Nazaire (44) de l’Agence départementale de prévention spécialisée (ADPS). Elle commença son essai le 8 février 2021. Elle ne le termina pas. Le 16 mars, elle fut convoquée par sa Directrice, en vue d’un entretien préalable à son licenciement. Cela commença bien mal, la présence du délégué du personnel étant d’emblée refusée ! Cette injonction n’ayant pu être juridiquement justifiée, le droit à être assisté par une personne-tierce put s’imposer. Les motifs du licenciement purent alors être exposés. Aurait-elle été brutale dans sa gestion de l’équipe ? Aurait-elle été peu respectueuse des principes fondateurs de la prévention spécialisée (libre adhésion, anonymat, absence de mandat) ? Aurait-elle fait preuve d’un manque manifeste de professionnalisme ? Rien de tout cela ! « Aucun reproche n’a pu être retenu contre moi, quant à mes compétences professionnelles  » confirme-t-elle. Compétences que sa directrice lui reconnut alors volontiers. Non, ce qui lui était reproché était infiniment plus grave. C’est ce qu’on peut identifier comme un crime de lèse-majesté : avoir participé à des manifestations publiques au cours desquelles elle avait « tenu des propos déplacés et irrespectueux à l’encontre des services de police et des élus de la ville de Saint Nazaire » (extrait de l’arrêté de licenciement). Et de préciser que cela s’était passé très exactement les 13 avril, 20 juin, 16 septembre 2019 et le 16 mai 2020. Si le lecteur sait compter et constatera aisément qu’il y a bien un délai de dix mois entre cette présence dans l’espace public et le recrutement de Christel Husson, il s’étonnera bien plus sans doute de la façon dont sa participation a pu être attestée, avec une telle précision. La réponse ne fait pas mystère : un huissier de justice avait été commis pour fouiller sur des comptes Facebook et trouver les traces laissées par ces horribles forfaits ! Il n’y avait été pourtant question ni du social, encore moins de son futur employeur. Et depuis, la Cheffe de service s’en était tenue à une stricte obligation de réserve. Mais, manifestement, l’expression citoyenne de ses convictions l’avaient marquée au fer rouge. La pression viendrait de la mairie de Saint Nazaire et l’ADPS n’aurait d’autres choix que de s’y plier…
Il n’en a pas fallu plus, pour enflammer le personnel de la dizaine d’équipes de terrain de l’ADPS agissant dans le département de Loire Atlantique. Une cinquantaine de personnes, travailleurs sociaux et cadres confondus, se sont mobilisés contre ce licenciement, se retrouvant devant le siège de leur employeur, le jeudi matin 1er avril, à l’appel de la CGT de la FSU et de Solidaires, pour demander la réintégration de Christel Husson.
Peut-on parler d’atteinte à la liberté d’expression et de la violation du droit pour tout agent de s’engager dans sa vie privée dans une association, un syndicat ou une mobilisation, pour défendre une cause militante et combattre ce qu’il estime être de l’injustice ? Mais, comment qualifier autrement la décision d’un employeur public qui lui en fait grief, au point de l’assimiler à une faute grave ? Faut-il dorénavant interdire l’accès à la fonction publique de toute personne ayant affiché ses opinions avant d’y postuler ?
Ce qui est peut-être le plus surréaliste, c’est que cette accusation d’avoir osé exprimer son opinion fait l’objet, noir sur blanc, d’une formulation dans un arrêté officiel de licenciement ! Comme si une telle motivation était légitime et pouvait parfaitement se justifier. A l’heure où la loi sécurité soulève des craintes quant aux libertés publiques d’expression, d’opinion ou de manifestation, il semble que certaines directions se sentent autorisées à instituer le délit d’opinion.
La forme juridique de l’ADPS relevant d’un Groupement d’intérêt général, qui emploie des agents contractuels de la fonction publique d’État, ce conflit du travail a été porté devant le Tribunal administratif. Il lui revient, à présent, de valider ou non les référé-liberté et référé-suspension qui lui ont été adressés, dénonçant l’arbitraire d’une décision discriminatoire.
Lien Social a tenté d’obtenir la position de la Directrice de l’ADPS. Celle-ci s’est refusée à tout commentaire. Dommage. Elle aurait pu expliquer pourquoi une direction obéit à un diktat venu de l’extérieur ; comment un employeur peut mandater un huissier pour faire intrusion dans la vie privée d’une salariée ; pourquoi elle préfère la soumission à un contributeur financier toutefois mineur (l’essentiel des subventions venant du Conseil départemental), plutôt que la défense d’une professionnelle reconnue pour ses compétences. Questions qui resteront donc sans réponses. Il est des circonstances difficilement défendables où le silence vaut sans doute mieux que le dialogue.

Jacques Trémintin