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► Plonger et rebondir : l’intégrale - Le « Burn-Out » dans la protection de l’enfance

Lien Social a consacré son numéro 1320/1321 aux questionnements qui traversent une action sociale en pleine crise. À la marchandisation, la rigueur budgétaire et perte de sens … répondent l’épuisement, prise d’initiative, réactivité, créativité et dynamisme. « Plonger et rebondir » a reçu près d’une cinquantaine de contributions, mais n’a pu en publier qu’une vingtaine. L’occasion de présenter sur notre site certaines des contributions que le lecteur n’a pas retrouvées dans la revue.

LS 1320-21 - Souffrance dans le travail social • Plonger ou rebondir ?



Par Céline Arbaud, Assistante de Service Social, Formatrice

Le Burn-out dans le travail social a longtemps été l’objet de stigmatisation des personnes qui en souffraient : « elle est trop fragile », « elle s’implique trop dans ses suivis », « elle n’arrive pas à faire la coupure entre vie professionnelle et vie personnelle »
Je suis assistante de service social, depuis maintenant dix ans et doucement, insidieusement, les signes du burn-out se sont installés dans mon quotidien. Je travaille alors comme référente à l’Aide Sociale à l’Enfance dans un service de placement. Dans un premier temps, les premiers signes, ce sont des journées qui s’allongent. Ma journée commence en général vers 9h00, mais quand finit-elle ? Officiellement vers 17h30/18h0 dans la réalité c’est plus 19h00/19h30. Puis, dans un second temps, ce sont mes nuits qui se fragmentent avec des réveils en sursaut par peur d’avoir oublié une note, un calendrier, un appel… Enfin, la fatigue commence à se faire sentir et la vie sociale et familiale est touchée. Les week-ends se ressemblent tous : le samedi, c’est sieste de trois heures pour rattraper le retard de sommeil et, le dimanche, c’est souvent un temps d’écriture de rapports car ça ne rentre pas dans la semaine. Les proches s’inquiètent silencieusement, les amis osent doucement nommer les signes du Burn-out… Mais ils se trompent, c’est évident, puisque sur le service, les collègues sont dans le même état et fonctionnent pareil. Personne ne part avant 18h30 et lorsque l’un d’entre nous se l’autorise, il est regardé avec suspicion…
Sournoisement, la souffrance au travail s’installe. Comme nous sommes pris dans un système où tous les travailleurs sociaux sont passionnés par ce qu’ils font et où l’autre est notre priorité, nous n’entendons pas notre propre mal être. Alors, pour moi, c’est mon corps qui va parler. J’ai mal, si je reste trop longtemps assise, derrière mon bureau. Ce n’est pas grave, je demande un siège adapté. Je me lève régulièrement, je suis tous les conseils de la médecine du travail. Je me dois d’être à l’écoute pour les personnes que j’accompagne. Pour les enfants qui sont placés, pour les parents avec qui je travaille pour qu’ils mettent du sens à cette mesure de placement, pour les assistants familiaux qui sont là au quotidien. Je dois être à l’écoute, disponible, présente au téléphone, en visite à domicile, sur le service lorsqu’ils viennent.
Progressivement, les visites à domicile chez les assistants familiaux s’espacent puis cessent, par surcroit de travail, mais aussi par non-disponibilité. Puis, ce sont les visites chez les parents qui suivent le même chemin. C’est pourtant le cœur de mon travail, mais je ne peux plus. Je ne me sens plus en capacité de le faire. J’ai besoin des murs de mon institution, pour me sentir en sécurité, pour être rassurée et accomplir ma mission. Ces signes, je ne les ai pas vus et, pourtant, ils montrent une dégradation de mon état psychique et une souffrance grandissante au travail.
Le turn-over au sein du service met aussi en évidence la souffrance qui règne dans les services de l’Aide Sociale à l’Enfance. Une nouvelle collègue arrive dans mon bureau… Il me faut lui expliquer le fonctionnement du service. J’attends qu’elle assimile toutes les informations vite, pour pouvoir prendre le relais. Mais, je ne suis pas disponible pour écouter ses questions, ses inquiétudes, ses préoccupations. Je dois sourire devant les parents, les enfants, les assistants familiaux. Je ne peux pas faire semblant devant ma collègue, je n’en ai plus la force. Et, inconsciemment, je la malmène, tellement la situation est insupportable pour moi.
La bienveillance entre collègues n’existe plus, alors qu’elle fait partie intégrante de nos valeurs et du travail en équipe. Elle n’est même plus présente pour moi-même. Pourtant, nous en avons besoin pour survivre dans cette période où il n’y a plus de places d’accueil, où certains enfants sont en danger chez eux et où les familles d’accueil sont également en souffrance. Mais, comment prendre soin des autres, quand nous ne prenons plus soin de nous-même ?
Afin de se protéger, de se préserver un peu, chacun se renferme un peu plus sur lui-même et pour éviter de rajouter de la charge de travail à l’autre, il évite d’aller lui demander un conseil, de l’aide pour les situations délicates. Nous ne nous interpelons plus, que pour les situations que nous avons en commun ou lorsque nous sommes à bout. Ces réactions individuelles se généralisent et le travail perd de son sens. La colère monte, l’épuisement aussi et le burn-out est là. La moitié de l’équipe est en arrêt sur la même période que moi.
L’institution ne semble pas percevoir le malaise qui s’installe et lorsque les arrêts maladies tombent la réponse qui sera donnée à ceux qui restent est que les agents épuisés ne savent pas se préserver et de ce fait ne sont pas de bons agents… Or, depuis, des missions ont été enlevées aux référents de l’Aide Sociale à l’Enfance car le nombre de mesures a continué à augmenter et le nombre de places à se réduire.
Les pistes de réflexion ont été ensuite proposées. Une supervision, pour comprendre le mal-être des professionnels et la remise en place des réunions d’équipe, en dehors des murs de l’institution, pour recréer une dynamique de groupe. C’est un premier pas. La crise sanitaire va aussi poser certaines choses, notamment avec un espacement des temps de visite.
Mais dans le cadre de l’Aide Sociale à l’Enfance où plusieurs professionnels se côtoient, il serait intéressant que chacun connaisse le métier et le quotidien de l’autre, pour parfois alléger le quotidien et remettre du sens au travail d’équipe.
Dans le cadre de la formation des assistants familiaux, certains départements font le choix que leurs futurs travailleurs sociaux passent une journée dans une maison d’enfants ou avec un référent de l’Aide Sociale à l’Enfance. Il serait intéressant que, lors de sa prise de poste l’éducateur spécialisé ou l’assistant de service social passe également un temps au domicile de l’assistant familial pour découvrir son quotidien. Mais également que lorsque des formations sont proposées, elles le soient à l’ensemble des membres de l’équipe, afin de resserrer les liens et que chacun comprenne le travail de l’autre et qu’ils se soutiennent dans les moments difficiles.


LS 1320-21 - Souffrance dans le travail social • Plonger ou rebondir ?