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► LE BILLET de Vince • Du bon usage d’usager/é

Usager (nom masculin, de « usage ») : personne qui a recours à un service.
Usagé (adjectif, de « usage ») : usé, qui a servi, qui a perdu l’aspect du neuf.
Reconnaissons tout de même qu’il y a des homonymies malheureuses ! Surtout dans le secteur social où le recours à ce terme est plutôt répandu. De qui parle-t-on vraiment lorsque l’on désigne ainsi les bénéficiaires de l’action sociale ? Des usagers qui utilisent nos services ? Ou des usagés que l’on use dans nos services ? La possibilité de confusion sémantique n’est pas anodine, soyons honnêtes.
Ces deux termes sont des dérivés du même nom, « usage » qui se définit par :
1. Le fait de se servir de quelque chose,
2. Le fait d’employer quelque chose pour sa consommation, pour ses besoins personnels,
3. La destination ou fonction de quelque chose, l’emploi qu’on peut en faire,
4. Une pratique habituellement observée dans un groupe, dans une société, une coutume.
Dans ces définitions usuelles de l’usage, on voit bien que figurent en premier les acceptions consuméristes, l’usagé se caractérisant alors prioritairement comme un objet utilisé.
Les dérives libérales de nos institutions s’inscrivent parfaitement dans cette logique de l’usagé, les personnes accompagnées devenant des enjeux financiers, des prix de journée, des objectifs chiffrés, des indicateurs quantitatifs d’action… La place des usagés s’évalue alors exclusivement à travers de jolis diagrammes, des camemberts, des tableaux Excel, des données statistiques froides qui prennent forme dans une évaluation purement volumétrique. Ces derniers sont effectivement usés au sens propre, utilisés pour faire valoir l’intérêt des organisations. Les personnes accompagnées deviennent alors objet d’un système en tant que pures variables d’ajustement. Comment repérer ces logiques dans vos structures ? Quand la première question relative à vos activités de vos N+1 ou N+2 ne sont plus « comment faites-vous ? » mais « à combien êtes-vous ? », c’est un signe assez criant d’une politique de l’usagé avec un « é » qui met la rationalisation économique au cœur de son projet.
Certaines institutions restent centrées sur l’usager avec un « er », préférant s’intéresser à la qualité des services rendus plutôt qu’à leur rentabilité. La difficulté avec cette homonymie auditive, c’est que le doute est toujours permis sur l’orthographe de l’usager/é. Les projets de service écrits emploient certes tous le « er », plaçant naturellement l’usager « au cœur des dispositifs », bla bla bla… Il n’est éthiquement pas adapté d’employer le « é ». Pourtant, beaucoup d’employeurs gagneraient en honnêteté à mettre en cohérence l’orthographe du terme avec leurs réelles intentions. L’usagé-Kleenex et l’usager-acteur ne devraient pas être confondus.
Pour ma part, j’ai toujours préféré appeler « mes usagers » (désolé pour l’emploi du possessif qui interroge toujours mais qui revêt pour moi un caractère purement affectif) Karim, Maëva, Jean-Philippe, Fatima, Sergeï, Mireille, Djayzon, Chloé, Moussa, Jennifer, Kevin…
C’est un peu plus long à écrire ou prononcer je vous l’accorde. Mais ça a au moins le mérite de replacer un peu de subjectivité là où le doute sémantique vient s’immiscer et semer le trouble dans les pratiques professionnelles.