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► LE BILLET de Ludwig • Management : de quoi le management est-il le nom ? (3)

Si nous sommes de drôles d’animaux, nous les z’éducs et autre faune du travail social, nous n’en sommes pas moins des salariés. Nous échangeons notre force de travail, nos compétences et savoir faire, contre une rémunération. Cette dernière n’est-elle pas supposée garantir les moyens de subsister, et le travail, de s’émanciper ? Depuis plus de vingt ans, la gestion économique et la chalandisation de l’action sociale et de la santé poussent nos métiers à se transformer dans un asservissement aux contraintes liées à l’obsession du rendement. Et nous entravent. Comme dans de grandes entreprises, le management peut martyriser les salariés.
Les changements de statuts, l’ouverture à la concurrence et aux appels à projets pour répondre à des prestations chiffrées, les évaluations et protocolisations à outrance ont fait rentrer le social dans une gestion de type « gouvernance », notamment en « responsabilisant » le personnel. Nous devons atteindre des objectifs dans nos suivis. A trois, six, neuf mois, par des entretiens individuels d’usagers bien notifiés dans des tableaux de suivis de projet individuel pour répondre à la loi. Parfois inadaptés aux situations. Nous cochons des cases. Les modes de financements du social deviennent des instruments de servitude. Les espaces professionnels sont de plus en plus confisqués par ces ratios de fonctionnement pour accroître des plus-values financières qui profitent aux plus riches, aux actionnaires. Les impératifs gestionnaires et financiers envahissent tout, avec pour objectif de casser l’ensemble du dispositif social.
Vous connaissez la méthode du « ranking forcé », qui consiste à pousser systématiquement vers la porte, sur une base permanente, un certain pourcentage de son personnel jugé moins efficace ? Je pense qu’il est possible de se poser la question, qu’à force de nous étouffer par le manque de moyens, subrepticement, on nous pousse vers la sortie. Projet politique ? Plausible.
Et puis, quand cela ne suffit pas, les menaces fusent et nous nous laissons convaincre que tout dépend de nous en cas d’échec. « Il en va de la survie de l’association » entend-ton. Culpabilité quand tu nous tiens. Mais ne « te plains pas, ce n’est pas l’usine ! » dans ce beau monde où il faut se donner corps et âmes parce que « ce sont les valeurs ». Alors on pourra fermer un secteur, te demander du jour au lendemain de changer de poste ou d’équipe, te mettre au placard comme sur une chaine de production, avec baisse de salaire à la clef ou le licenciement. Bien sûr, il ne te sera pas laissé le temps de t’adapter à ce nouveau rôle. Tu seras surchargé, pressurisé, contrôlé, coupable de ne pas répondre aux attendus. Alors tu en feras toujours plus, te poussant ainsi dans la spirale de l’épuisement professionnel. Comble de l’ironie, on formera les équipes à la psychologie positive d’une dictature du bonheur dans des séminaires ou des journées de cohésion à jouer au lego ou à randonner en compagnie de son chef toxique.
Combien de vies détruites à petit feu par ces pratiques ?
Il est temps de stopper cette machine à broyer de l’humain, et d’apprendre à dire non, de savoir gérer son chef.



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