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► LE BILLET de La Plume Noire • Parler aux étoiles

Paolo, enfant pour ceux qui savent regarder, et autiste pour ceux qui ont besoin de poser un diagnostic sur tout humain qui ne marche pas droit, en a strictement rien à cirer des pictogrammes confectionnés tout spécialement pour lui par la psychomotricienne Martine Mascarpone et l’éducatrice spécialisée Brigitte Poulette. Pour ces deux professionnelles, il est nécessaire de bien ritualiser le cours du temps avec les enfants handicapés. « Ils ont besoin de repères clairs, autrement, ils sont complètement perdus. »
François Durand, éducateur spécialisé de son état, éprouve le sentiment que ce sont plutôt les professionnelles qui se retrouvent désorientées face à ces enfants qui parlent aux étoiles. Il se revoit, alors qu’il venait d’être embauché dans ce centre médico-psychologique (CMP), lors d’une sortie en forêt avec Paolo et deux autres bambins et surtout l’éducatrice et la psychomotricienne qui ne toléraient aucune escapade sur le sentier forestier. Les enfants se devaient de rester à leur place, à savoir, à côté d’elles.
Mais Paolo marchait plus vite que les autres. François s’inscrivit dans son pas, pour tout doucement et par moments, dans un petit jeu implicite, se placer devant lui. Ainsi, à tour de rôle, l’un ou l’autre prenait la tête du duo et traçait le chemin à suivre. Imperceptiblement, pas et gestes, entrèrent en symbiose et sur une partie un peu plus rocailleuse que les autres François et Paolo trébuchèrent de concert. Se regardant, ils échangèrent un sourire complice sur le faux pas accompli.
Ce petit manège exaspérait Brigitte et Martine, qui, distancées d’une quarantaine de mètres, ne cessaient d’appeler Paolo afin qu’il les attende. Impossible dès lors pour l’éducateur et l’enfant de vivre tranquillement cette prémisse de relation. Il convenait de ne pas arpenter le chemin selon son propre désir.
Et aujourd’hui, en atelier jeu, c’est pareil. En guise de repères, on segmente le temps et l’espace, on codifie, on pictogrammise. Depuis qu’il vient au CMP, Paolo ne s’est jamais saisi du support collectif à pictogrammes alors les deux professionnelles ont eu la bonne idée, après de nombreuses heures dédiées à la question en réunion, de lui en refiler un deuxième. Ainsi, en plus des pictogrammes à afficher sur le tableau pour tout le groupe Paolo a droit aux siens propres qu’il doit disposer sur une réglette. Mais Paolo a d’autres projets. La réglette l’emmène ailleurs. François observe le gamin. Ce dernier lui tend le bout de plastique accompagné de quelques mots disponibles dans son vocabulaire. L’éducateur ne comprend pas ce qu’il dit, mais qu’importe, il s’empare de l’objet.
Oh, c’est un bateau, il vogue au milieu de l’océan, l’étendue d’eau devient prairie, le bateau, cheval, cataclop, cataclop, des ailes lui poussent, il s’élance, s’envole dans les airs, il trace des arabesques scintillantes au milieu des nuages, direction la Voie lactée, en une magnifique métamorphose une fusée apparaît, elle file à une vitesse suprasonique vers l’immensité de l’espace intergalactique, elle…
« Eh, oh, ça suffit ! Alors Paolo, on le met où le pictogramme ? »
Dommage, c’était chouette de parler aux étoiles.


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