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► LE BILLET de La Plume Noire • Monstre éducatif

Comme le dit ce bon vieux Friedrich « Celui qui combat des monstres doit prendre garde à ne pas devenir monstre lui-même. Et si tu regardes longtemps un abîme, l’abîme aussi regarde en toi. »
Lorsqu’il s’agit pour le travail social d’identifier le monstre à combattre, nul besoin pour lui de chercher bien loin celui qui est cause de tous ses maux et désigner ainsi le capitalisme, le libéralisme, que dis-je ? L’ultralibéralisme qui pénètre à grand renfort de mots désincarnés, de logiques procédurales et managériales, par tous les pores de la peau les métiers de l’intervention humaine. Dans sa volonté de faire de l’humain un rouage dans une mécanique bien huilée, le capitalisme vorace, tel l’ogre des contes, bouffe tout sur son passage et par là même vide de sa substance l’essence même de ces métiers qui s’attellent quotidiennement à faire en sorte que cet humain puisse exister dans toute son incomplétude.
Il apparaît alors peut-être pertinent, si on souhaite le combattre, de se poser cette petite question : « Où prend naissance le capitalisme ? »
J’ose ici une réponse : dans la volonté de domination de l’autre.
C’est pourquoi, les éducateurs de tous poils, du moins ceux qui politisent leur action, s’en défient. Dans l’éducation spécialisée, nulle volonté de domination de l’autre.
Mais une telle affirmation n’est-elle pas finalement un moyen rassurant de faire l’économie d’un regard qui pourrait se poser sur la part sombre de ce métier ? Une sorte d’arrangement à moindre coût avec sa conscience. Une manière d’éviter de se regarder dans le miroir alors que nous savons grâce à ce bon vieux Phillipe et son ouvrage « Frankenstein pédagogue » qu’en éducation grand est le risque de vouloir façonner l’autre à notre propre image. Cet autre bien souvent nommé sur le terrain « personne accompagnée » ce qui ne va pas sans une certaine confusion. Effectivement, Il n’est pas impossible que les éducateurs de tous poils, même ceux qui politisent leur action, croyant être dans de l’accompagnement fassent finalement autre chose qui lui est à la fois très proche et différent : du guidage.
L’ultralibéralisme et son management de technicisation des pratiques est un monstre à combattre, c’est certain, mais à ne regarder que celui-là, cet ennemi commodément désigné, on ne voit pas le monstre en nous, celui qui élabore des programmes nommés projets, celui qui définit les places à tenir, celui qui n’accepte pas que l’usager mette en échec une orientation ou plante un rendez-vous, celui qui pose un cadre, celui qui dit à quelle heure on doit se brosser les dents, celui qui laisse le personnel au portail de l’institution, celui qui se met à bonne distance ou à juste proximité, celui qui affiche des tableaux de mise de table et des règles de vie, celui qui déclare qu’il n’est pas payé pour être insulté, bref, celui qui guide et qui croit accompagner et qui par là même se situe en position haute… celui qu’il convient de repérer non pas pour le combattre, mais pour le comprendre et ainsi ne plus en être le jouet.

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-* Travail social/ éthique