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► FORUM - Le billet de La Plume Noire Billet : La Termitière

La Plume, dis- moi. Nous allons nous retrouver face à un problème lorsque tu vas devoir nommer l’association dans tes billets. Nous devons garantir l’anonymat, n’oublie pas.
Assis à la terrasse d’un bistrot, François Durand, éducateur spécialisé de son état et accessoirement mon ami, m’interpellait au sujet de notre projet commun d’écriture.
—  Ben je ne sais pas François. Je suis effectivement en charge de mettre en mots tes histoires mais c’est toi qui doit apporter la matière.
— Oui je sais La Plume. Mais on peut quand même y réfléchir ensemble. Je vais te dire. J’ai pensé à « La Taupinière ». Qu’est ce que tu en penses ?
Il m’a alors expliqué que ce lieu, avec les fenêtres au ras du sol dans les bureaux du premier étage, la lumière artificielle de rigueur de l’ouverture à la fermeture du service et ses longs couloirs labyrinthiques dont le soleil ne perce que difficilement l’opacité ressemblait aux galeries d’une taupinière. Moi, La Plume Noire, j’ai de suite été charmé par cette idée car, qui disait taupinière disait taupes. Dès lors, sous les touches de mon clavier, les travailleurs sociaux devenaient des taupes, ces animaux qui avancent dans le noir et à l’aveugle. A l’inverse de la lucidité qui demande d’accepter la douleur que peut causer le fait d’ouvrir les yeux, l’aveuglement peut s’avérer être une attitude plus confortable et je me disais que perçait là, dans l’idée d’un possible aveuglement des travailleurs sociaux, une piste intéressante à explorer. Le problème c’est qu’après quelques recherches je me suis aperçu que les taupes travaillaient énormément. D’ailleurs, c’est à elles que l’on doit le terme « Bosser ». A cause des bosses qu’elles font avec la terre qu’elles évacuent à la surface du sol en creusant continuellement à la recherche de nourriture. Et d’après ce que me raconte François et l’interprétation que j’en fais, il n’est pas du tout certain que les travailleurs sociaux bossent. J’ai plutôt l’impression qu’ils et elles s’agitent beaucoup et qu’ils et elles s’épuisent. Mais s’agiter, s’épuiser, n’est pas travailler.
— Et pourquoi pas une termitière ? Tu gardes l’idée des galeries souterraine, de l’opacité, de l’agitation…
— Termitière ? Hum. Les travailleurs sociaux ? Des termites ? Autant dire, des nuisibles. Nous risquons de nous couper de tout un lectorat potentiel... Il est gentil François. Je m’en tape du lectorat potentiel. Si je commence à prendre le lecteur en considération, je n’écris plus. Et puis j’aimais bien l’idée politique que l’on pouvait tirer de cette comparaison. La termitière, avec ses castes, ses ouvriers, ses soldats, ses sexués, son roi, sa reine, son organisation parfaite, chacun et chacune s’attelant à la tâche qui lui incombe afin de perpétuer le système, sans encombre, sans jamais remettre en question l’ordre établi, sans insurrection possible, sans déséquilibre ; l’utopie parfaite. Finissant son jus de framboise, François était resté un temps songeur puis, m’avait lancé « Les termites sont xylophages non ? Alors va pour La Termitière parce que je peux te dire que dans cette boîte, putain, qu’est ce que nous pouvons bouffer comme papier !!! »