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► FORUM - Le Billet de La Plume Noire : celui qui pisse le plus loin

En recherche d’un remplacement pour la saison d’été afin de pallier au non versement de son allocation formation durant cette période, François Durand, éducateur spécialisé de son état, s’était rapproché du foyer « Les Calendes ». Cette structure qui accueillait principalement des jeunes qualifiés de « Délinquants » était considérée sur le secteur comme l’antichambre de la prison ou, plus prosaïquement, la dernière chance avant la prison. On en entendait de belles sur « Les Calendes ». Le directeur expliquait aux éducateurs en poste qu’ils étaient la porte et lui la clé. Le Gus était également le dépositaire de l’argent de poche et il distribuait les billets en les sortant de sa poche comme par magie. Une façon pour lui de ne pas se confronter au public et de l’acheter disaient les mauvaises langues. Certains éducateurs se frottaient régulièrement aux jeunes et dernièrement l’un d’eux s’était retrouvé aux urgences après avoir reçu derrière la tête un coup donné avec une planche de bois. Sous le choc, elle s’était brisée et l’éducateur avait fini dans un camion de pompiers. Mais peu importe. Jeune et en formation, François était décidé à mouiller le maillot et montrer qu’il pouvait aller là où l’ambiance était des plus chaudes. Le Zéduc se devait de ne pas avoir peur.
C’est ainsi, qu’après sa prise de contact, lui avait été proposé de venir passer une soirée au sein du foyer. Quelques jours avant sa venue, il avait vu un reportage au journal régional sur « Les Calendes ». On y voyait quelques jeunes et surtout le chef de service, beau-fils du directeur - ça, le reportage ne le disait pas - qui expliquait son travail.
« Nous ce que l’on demande aux jeunes s’est d’être respectueux. Bonjour, Au revoir, Merci. La moindre des politesses quoi ! » Dans une chambre il continuait « … et puis voilà, le matin, le lit fait, l’armoire rangée. Le minimum requis quoi ! ». François avait écouté ce professionnel et en avait ressenti un léger trouble, tant il trouvait sa vision du travail éducatif excessivement limitée « Ah bon, cela va être ça mon boulot ? faire en sorte que les gamins fassent bien leur lit ».
Le jour J, il se présenta devant la structure ou plutôt aux pieds des murs qui, effectivement, ressemblaient à ceux d’une prison. A peine rentré, un jeune l’interpella avec véhémence.
« C’est quoi ton nom ? ». Désarçonné par le ton employé, il répondit dans sa barbe « François ». « Quoi ? Brancard ? » ? «  Non, François  ». Un autre arriva :
-  Vous allez travailler ici ?
-  Peut-être
-  Vous êtes sympa ?
-  Ça dépend.
-  Avec nous, il ne faut pas être trop sympa.
Les présentations faites, François fût pris en charge par un éducateur qui l’emmena sur son groupe. Quand les jeunes s’agitaient, l’éduc intervenait à peine. François ne sentit pas qu’il exista une relation entre eux. Sentiment confirmé, lorsqu’au moment du repas, au self, il s’aperçut que les éducs ne mangeaient pas à la même table que les jeunes. Aucune interaction, deux clans ennemis bien distincts engagés dans une guerre froide censée préserver la paix des uns et des autres. Seul le chef de service montait au créneau. Quand un jeune dépassait les bornes il se mettait face à lui, front contre front, et haussait le ton. Le jeune, tel un lionceau face au roi de la jungle, baissait alors les yeux en signe de soumission. Un jeu bien huilé que regardaient les éducateurs incapables de faire eux-mêmes autorité ou tout simplement parce qu’ils estimaient que ce rôle appartenait au chef de la meute.
François n’a pas été retenu pour le poste. Cela s’était vu dans son positionnement. Il manquait de fermeté. En quittant les lieux, il repensa à ces jeunes lionceaux qui, un jour grandiraient et reviendraient chasser le roi qui, la crinière décrépite et la queue entre les jambes, se verrait contraint à l’exil.
C’est dans l’ordre des choses lorsque l’on joue à celui qui pisse le plus loin.