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► C’est quoi le problème ? Par Mélodie • Qui perd son intimité a tout perdu (Milan Kundera)

Alors qu’il est 11 heures du matin et qu’il fait un froid de gueux, je décide, insouciante et joyeuse, de vaquer à mes occupations noëllesques.

Il a suffi de quelques malheureuses secondes pour troquer ma légèreté passagère, en pesanteur sinistre. Sur le trottoir de ma rue, un vieil homme, emmitouflé de haillons, les yeux dans le vague et la main empressée, se masturbe avec frénésie sous l’auvent d’une agence de location de voitures.

Des images glauques entachent mes pensées agréables. Adieu ma nonchalance, mon sourire et surtout mon enthousiasme à dégoter quelques cadeaux pour mes petits-enfants. Mon présent se coltine une réalité inconcevable, et ma journée ne ressemble déjà plus à celle que j’avais prévue. Et, heureusement, d’ailleurs, que mes pas s’attardent. Non pas sur la scène entrevue, non, mais je me surprends à ralentir, suspendue à mes éprouvés quelque peu chamboulés.

Comment être le témoin de la misère, qui grignote généreusement chaque recoin de ma ville, sans en être affectée ? Impossible de fermer les yeux et d’ignorer que cet homme ‒ et tant d’autres ‒ a perdu bien plus qu’un travail, un lieu ou une famille. Il a égaré toute forme de dignité.

Face à mon impuissance à le secourir, je ressens un profond chagrin m’envahir. Soudain, j’entends une sirène, celle des pompiers. Ils se dirigent vers le SDF, se garent et sortent de leur véhicule. Quelqu’un ‒ de plus réactif que moi ou tout bêtement un employé de l’agence ‒ a dû les appeler pour lui venir en aide, évidemment, ou peut-être simplement dans l’espoir de se débarrasser de l’intrus qui fait une mauvaise publicité au commerce !

Un pompier se penche vers lui, lui parle gentiment, l’aide à se relever et le soutient jusqu’au brancard, pendant que ses collègues jettent ses vieilles couvertures et guenilles dans une poubelle. D’autres nettoient, à grands jets d’eau, le trottoir et l’entrée de l’agence. Problème(s) réglé(s) en deux temps, trois mouvements. Plus aucune trace du passage du pauvre homme ! Ce soir, il sera propre et au chaud !

Mais demain, sous quel pont ‒ ou porche ‒ va-t-il crécher ?