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■ Matière à pensées - Et si le système éducatif français se réinventait (pour de vrai) par l’expérience écologique ?

Pour saluer notre nouvelle ministre de l’Éducation, déjà sous le feu des polémiques pour son rapport à l’école privée très catholique, une réflexion « sur un système éducatif français... qui ne fait pas rêver ».


Par André Decamp, doctorant à l’Université de Montréal et l’Université libre de Bruxelles, membre du Centre de recherche sur les innovations sociales (CRISES)

Comme tout un chacun, mon rapport à l’école, au savoir et au monde du travail n’est pas neutre. En effet, mon parcours scolaire n’a pas été un chemin de tout repos, ma vie familiale et professionnelle non plus. Si je devais le dire autrement, je me suis demandé très tôt quelle était l’utilité réelle de l’école.

À 47 ans, avec deux enfants âgés de 10 et 14 ans, je me pose la même question. Comme le mentionne Léna Silberzahn, « lire, écrire, compter : force est de constater que "les fondamentaux" sur lesquels le ministre de l’Éducation Jean-Michel Blanquer a tout misé depuis les réformes de 2019 ne contiennent pas le fait de cohabiter avec tous les vivants au sein d’un système juste et soutenable ».

J’ajoute dans ce préambule qu’il ne faut pas faire l’économie des slogans que nous avons tous entendus, tels que, « il faut bien travailler à l’école pour avoir un bon métier ». Ainsi, le lien entre le travail et l’école a forgé une culture de la réussite, voire de la performance scolaire : « si tu vas à l’école, tu auras un bon travail » ; « si tu travailles à l’école, tu pourras correctement gagner ta vie »...

L’école est un puits sans fond de promesses en matière de projection sociale ! Et, si l’on poursuit des études parfois longues, c’est donc souvent pour les différentes raisons que l’on vient d’évoquer : avoir une bonne vie personnelle et professionnelle, et peut-être aussi se démarquer de ses parents à partir du travail.

De nouvelles interrogations

Après l’épisode du Covid-19, je constate qu’aujourd’hui, de nouvelles interrogations se forment chez les jeunes autour du sens qu’ils ou elles souhaitent donner à leur vie. C’est l’élément qui leur semble non négociable. L’exemple des jeunes ingénieurs de Paris Tech agro lors de la remise des diplômes est révélateur du climat qui règne dans les esprits de la nouvelle génération.

Cette rébellion inédite était ainsi reprise dans les titres de presse : « Des étudiants d’Agro Paris Tech ont appelé lors de leur remise de diplôme, dans une vidéo vue plusieurs centaines de milliers de fois, à "déserter" les métiers auxquels ils ont été formés. Ils dénoncent notamment la destruction de l’environnement par le secteur agro-industriel. Mais un boycott est-il réaliste et efficace ? »

Les jeunes veulent donner du sens à leur vie et ne pas détruire la planète. Ils considèrent que leurs formations scolaires et professionnelles ne doivent pas soutenir une logique d’effondrement. La cause écologique semble agréger une grande partie de la jeunesse mondiale. Paradoxalement, nous assistons ici à une nouvelle forme de décrocheurs scolaires, les "très diplômés".

Donner du sens à sa vie sans détruire la planète

Cette situation m’a permis, entre autres, de constater que les décrocheurs scolaires traditionnels ont un point commun avec ceux qui n’ont aucun problème dans leur scolarité : la perte de cette sorte d’étincelle qui leur permet de se donner les moyens de supporter, pendant des heures, les cours, devoirs sur table, révisions, examens, etc. Cette étincelle ne pourrait-elle pas se rallumer au travers des expériences écologiques, dans la mesure où celles-ci fédèrent un certain nombre d’entre eux ?

Si nous voulons passer le relais auprès de la nouvelle génération, ne faudrait-il pas l’instituer dans les endroits où les jeunes passent le plus de temps dans leur vie, à savoir l’établissement scolaire ? Mais le système éducatif est-il en capacité d’accueillir un tel projet ?

L’expérience écologique

Ces expériences entre savoir académique et savoir autodidacte pourraient servir d’ingrédients pour construire ou reconstruire de nouvelles valeurs, pour remettre du sens, voire de la spiritualité dans leur choix de vie, tout en laissant la place aux nouveaux apprentissages, notamment ceux liés à l’émotion.

Dans le cadre de cette présentation, l’expérience écologique sera abordée comme un point d’ancrage pour envisager la mise en œuvre d’une étincelle dans le système éducatif français. Dans un premier temps, je chercherai à comprendre si le système éducatif peut produire de l’intérieur la réelle mise en œuvre d’une expérience écologique.

Dans un second temps, je me demanderai en quoi l’éducation populaire et la bifurcation vers d’autres modèles se révèlent davantage prometteurs pour favoriser l’écologie et l’émancipation des citoyens sur ces sujets. Je m’appuierai sur différents auteurs et autrices : l’approche de Magalie Jaoul-Grammare et Anne Stenger, de Lucie Sauvé Centr’ERE et Barbara Bader, de Lena Dominelli (TSV) et de Hugues Bazin (LISRA).

Sans détour… le système éducatif français ne fait pas rêver !

Nous pouvons l’observer depuis la période Covid : le métier d’enseignant n’attire plus les générations montantes, comme d’autres métiers tels que médecin, chauffeur de bus, infirmier, éducateur ou animateur.
Plusieurs raisons expliquent cette situation, notamment les conditions de travail, le sens donné au mot "qualification", l’absence de signes de reconnaissance, etc.

Par ailleurs, la créativité d’ingénierie pédagogique du système éducatif français ne s’est jamais fait remarquer dans notre pays, excepté - très vaguement - en formation continue des adultes, de même que dans l’enseignement agricole, l’apprentissage, et quelques rares branches d’enseignement professionnel et technologique.

La France n’a jamais été citée pour son brio, sa créativité, ses innovations et son imagination. Bien au contraire... Sur Thot Cursus, le portail québécois de la formation à distance, on pouvait lire en mars 2022 un propos édifiant qui relevait de la fable méritocratique de l’école française : « C’est un mythe, car tous les élèves partent sur la même ligne de départ ensuite... »

Notre jeunesse pense désormais à d’autres métiers bien différents, tels que Youtubeur ou Instagrammeur à succès.


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