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► C’est quoi le problème ? Par Mélodie • La larme

Arthur s’énerve, Arthur pète un câble, Arthur fugue quand le portail de l’institution est ouvert, Arthur n’a pas les mots pour dire ce qui lui passe par la tête ; alors il met la vitesse « cinq » sur son fauteuil électrique et fonce contre les murs en hurlant. Certains disent « c’est frontal ! ». Bon, et alors ? Bravo pour ce super diagnostic qui tombe comme un couperet ! Maintenant, on fait comment, on abandonne ? Marie, elle, est chamboulée quand elle est témoin de ses débordements. Elle s’en fout que ce soit frontal, elle veut simplement avoir des bras assez grands pour l’envelopper, le rassurer et contenir son chagrin. Chaque lundi, elle l’emmène aux beaux-arts. Ils s’installent tous les deux à une table dans une grande salle lumineuse et elle sort des couleurs, des feuilles, des pinceaux, des pochoirs et de l’eau. Arthur adore ce moment partagé. Il étale la peinture, organise ses traces et s’évade dans sa création. Son trop-plein de colère se fond dans la gouache. Il le sent remonter de son ventre, se glisser aux bouts de ses doigts et exploser sur la feuille en feu d’artifice multicolore : ses yeux humides s’attardent sur le jaillissement de sa rage, son corps se détend, puis il sourit à Marie. C’est son clin d’œil pour lui montrer son travail quand il est terminé. Elle ne manque jamais de lui glisser quelques mots sur ce qu’elle ressent. Le résultat est d’une rare beauté et Arthur aime lire l’émerveillement dans les yeux de Marie ; ça lui fait chaud au cœur. Un matin, quand ils sortent des beaux-arts pour rejoindre l’institution, Arthur s’arrête devant le grillage de l’école maternelle. C’est la récréation. Des enfants courent, jouent à chat perché, font du toboggan, crient et rient. Lui se fige ; une larme dégouline en silence le long de sa joue. À quatre ans, il a été renversé par une voiture et s’est retrouvé en fauteuil, après un long séjour à l’hôpital entouré de ses parents effondrés. Lui aussi, un jour, a couru, joué, fait du toboggan, crié et ri dans une cour avec ses copains. Marie est sûre qu’il se souvient. L’irréversibilité de sa vie lui tombe dessus quand il découvre cette flopée d’enfants agités et joyeux. Des moments heureux – qui ne reviendront pas – défilent sous ses yeux. Il se coltine soudain son impuissance à remonter le cours du temps pour reprendre son histoire là où elle a basculé. Il a dix ans et pleure sur son enfance fracassée.