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■ ACTU - Mouvement de grève à Emmaüs dans le Nord

Depuis le 1er juillet, les compagnons sans-papiers d’une communauté Emmaüs du Nord sont entrés en grève. Ils dénoncent un système « esclavagiste » mis en place par la direction.

« Emmaüs y en marre ! L’esclavage c’est fini ! ». La banderole flotte à l’entrée de la Halte-Saint-Jean depuis le 1er juillet, date à laquelle les 25 compagnes et compagnons sans-papiers de cette communauté Emmaüs située à Saint-André-Lez-Lille sont entrés en grève.

Fausses promesses, arrêts maladies interdits, salaires dérisoires, cadences infernales, brimades et racisme décomplexé de la direction, les employés sont à bout de souffle. « Quand j’étais enceinte, j’ai travaillé jusqu’au jour de mon accouchement. Mon mari travaille tous les jours. Il a été opéré quatre fois du dos mais devait continuer à travailler malgré les arrêts maladies », souffle Happy, arrivée il y a six ans dans la communauté avec son mari et ses quatre enfants.



Certains compagnons travaillent à temps plein depuis plus de six ans dans la communauté et subissent un déni du droit du travail. ©Jérémie Rochas

« Nous travaillons 40 heures par semaine, pour un salaire de 150 euros. Quand tu te plains, on te met dehors. Emmaüs, c’est l’enfer », assure Alice, une compagne sans-papiers.

Soutenu par l’Union départementale de la CGT du Nord et le Comité des sans-papiers (CSP 59), le collectif de grévistes n’a plus l’intention de se taire. « On est arrivés à notre point du fusion », pose Ibrahim, d’un ton grave, recruté il y a cinq années dans la communauté. De son côté, la direction de la Halte-Saint-Jean nie en bloc les accusations de ses employés et Emmaüs France garde le silence.

Traite des êtres humains

Le 13 juin dernier, l’Office central contre le travail illégal (Oclti) a perquisitionné les locaux de la communauté qui est soupçonnée de travail dissimulé et traite des êtres humains. Plusieurs plaintes ont d’ores et déjà été déposées. Anne Saingier, responsable de la communauté et présidente régionale d’Emmaüs est accusée d’avoir recruté des dizaines de personnes en leur promettant le statut de compagnon et une régularisation après trois ans de travail, des droits normalement régis par l’agrément Organismes d’accueil communautaire et d’activité solidaire (Oacas).



Said Bouamama du Comité des sans-papiers 59 et David Guiraud de la France Insoumise sur le piquet de grève d’Emmaüs. ©Jérémie Rochas

Pour Said Bouamama, porte-parole du Comité des sans-papiers 59, cette fausse promesse a été le point de départ d’un système qu’il qualifie de « quasi-esclavage » au sein de la Halte-Saint-Jean. Depuis la loi du 1er décembre 2008 généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d’insertion, le statut Oacas donne des droits aux compagnons. Ils peuvent désormais être déclarés à l’Urssaf, bénéficier d’une allocation communautaire de 350 euros et du régime général de la protection sociale.

Cette convention signée avec l’Etat déroge au code du travail mais est inscrite par décret dans le code de l’action sociale et des familles. En 2018, la loi Asile et immigration a donné la possibilité aux compagnons sans-papiers de se voir délivrer une carte de séjour s’ils sont en mesure de justifier de trois années d’activité ininterrompue au sein d’un Oacas, du caractère réel et sérieux de cette activité et des perspectives d’intégration.



Plusieurs personnes en situation de handicap seraient contraintes de travailler à temps plein. ©Jérémie Rochas

En février dernier, la responsable avouait à ses employés ne pas les déclarer à l’Ursaff et ne pas avoir l’agrément Oacas. « Les trois ans, vous pouvez les retirer de votre tête », concluait-t-elle. Ce système frauduleux aurait permis à la communauté d’assurer un chiffre d’affaire de 25 000 à 30 000 euros depuis 2017 grâce au recrutement de plusieurs dizaines de sans-papiers, dont plusieurs en situation de handicap.

Libérer la parole

Depuis le début de la grève, la parole semble se libérer au-delà de la communauté de Saint-André-Lez-Lille. Des compagnons Emmaüs de toute la région prennent contact avec la CGT et le CSP 59 pour dénoncer les mauvais traitements dont ils se disent victimes.

« Dans ce paysage postcolonial, il faudra le rapport de force nécessaire pour faire bouger. Alors à partir d’aujourd’hui, le rapport de force on va le créer partout, dans les onze Emmaüs du département. Nous allons solliciter la CGT à Montreuil pour qu’elle interpelle les 117 Emmaüs de France », assure Jean-Paul Delescaut, secrétaire général de l’Union département de la CGT. Une caisse de grève a été créée par le syndicat et mise en ligne pour soutenir les compagnons mobilisés.

Contactée, la direction de la Halte-Sain-Jean n’a pas souhaité répondre à nos questions. Dans un communiqué publié ce mercredi, Emmaüs France indique avoir décidé d’une mise en retrait immédiate de la responsable « tant afin de garantir la protection des personnes accueillies que celle de cette dernière » et du lancement d’un « audit externe dans les plus brefs délais » en parallèle de l’enquête préliminaire.

Jérémie Rochas


À lire aussi dans Lien Social n°1149 : Communautés : Les mondes d’Emmaüs et le n°1026-1027 spécial "Ils se sont indignés", p27-28-29 :Quand Emmaüs Pointe Rouge réveille les solidarités