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■ ACTU - Enquête inédite sur l’aide médicale d’État

Menée par 5 associations en Île de France, une enquête révèle que deux-tiers des personnes interrogées, étrangers en situation irrégulière, ont du mal à se soigner faute de couverture maladie, et que sept sur dix ont déjà renoncé aux soins.

Alors que des sénateurs de droite veulent réduire encore la portée de l’aide médicale d’Etat (AME) réservée aux étrangers en situation irrégulière, une enquête inter-associative menée en Ile-de-France montre que les personnes éligibles à cette couverture maladie y ont très difficilement accès. En effet, les obstacles administratifs sont nombreux.

Testing et étude de données en ligne

Pour donner à voir la réalité de terrain, cette enquête inter-associative (1) a été menée en janvier et février 2023. Elle croise les données en ligne du site de l’assurance maladie (amelie.fr) et de la plateforme de rendez-vous (clicRDV.com), 271 appels à un numéro payant pour obtenir un rendez-vous en vu d’ouvrir des droits à l’AME dans quatre CPAM franciliennes (Paris et départements limitrophes), un questionnaire auprès de 258 usagers de la CPAM Courneuve, l’unique dédiée au demande d’AME dans le 93.



Campagne Médecin du monde 2019 à Marseille, lors du vote de la réforme de l’aide médicale d’État. ©Myriam Léon

Depuis la réforme de 2019, malgré les alertes des acteurs de terrain sur une dégradation de l’accès au soin délétère en terme de santé publique, les demandeurs doivent avoir trois mois de présence irrégulière sur le territoire et se déplacer en personne pour déposer leur première demande.

AME : Filet de sécurité en terme de santé publique

L’enquête révèle un manque criant d’informations sur le site Ameli.fr quant aux procédures à suivre, et montre que dans la plupart des départements, trop peu d’agences CPAM sont habilitées à les recevoir. Cet éloignement physique est préjudiciable.

Barrière supplémentaire, certaines CPAM exigent une prise de rendez-vous par téléphone ou par internet pour pouvoir déposer son dossier, et aussi parfois pour venir retirer sa carte. Or, lors de cette enquête « plus d’un tiers des appels n’aboutissent pas en Seine Saint-Denis et dans le val de Marne.

Même lorsque quelqu’un décroche, les informations délivrées sont incomplètes voire erronées ». Ainsi, seulement 4% des interlocuteurs orientent les personnes sans couverture maladie vers les PASS (permanences d’accès aux soins de santé).

Se soigner : mission impossible

L’accueil physique n’est guère plus adapté. Dans le 93, plus d’une personne sur deux rencontrée sur place n’a pas pu déposer son dossier et une sur trois n’a pas réussi à retirer sa carte. En cause des problèmes d’organisation, de flux, d’interprétariat, de manque d’informations.
Résultat ? « 64% des personnes interrogées ont rencontré des difficultés pour se soigner, faute de couverture santé et parmi elles, 7 sur 10 ont renoncé aux soins », rapporte l’étude.

« Si l’on ne sait pas lire et écrire le français, qu’on ne dispose pas de connexion internet ou de forfait téléphonique pour appeler le 3646 [numéro de l’Assurance maladie], se soigner devient une mission impossible », affirme Florence Rigal, présidente de Médecins du Monde. Sa partenaire de Dom’Asile, Catherine Claverie souligne une autre difficulté : « Le service public s’éloigne des usagers. Obligées de se déplacer souvent loin de chez elles, ces personnes sans papiers s’exposent à des pertes de revenus, et au-delà à des risques d’arrestation. »

Les associations préconisent une simplification de l’accès au droit : dépôt de demandes sans rendez-vous dans la CPAM la plus proche, accès à l’information avec interprétariat… En attendant, l’organisation du dysfonctionnement porte ses fruits et flatte auprès d’un électorat pour qui la population étrangère est un bouc-émissaire tout trouvé. Quitte à déstabiliser le système de santé publique notamment par un recours accentué aux couteux dispositifs d’urgence.

Mariette Kammerer

1 : Médecins du Monde, la Cimade, Secours Catholique, Comede, et Dom’asile


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