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■ ACTU-CEF Auvergne, la grande débandade

Isolé dans le Puy-de-Dôme, le centre éducatif fermé de Pionsat multiplie les dysfonctionnements et ne peut plus remplir le cahier des charges visant à la réinsertion de mineurs délinquants. Face à ces constats, le syndicat SNPES-FSU appelle à la fermeture, quand le Groupe SOS et la PJJ réfléchissent à augmenter les effectifs.

Depuis le début de l’année, le Centre éducatif fermé (CEF) de Pionsat en Auvergne traverse des turbulences. Les révélations du quotidien régional La Montagne (1) en mars puis de Médiapart (2) en juin décrivent un établissement sans équipe de direction fixe, ni personnel éducatif suffisant en nombre comme en compétence. Sur 26,5 postes 18 sont pourvus et 17 titulaires sont en arrêt maladie. L’association gestionnaire, Le CAP membre du groupe SOS peine à recruter, si bien que l’équipe rame en sous-effectif et les jeunes s’engouffrent dans les failles, fument des pétards, fuguent, draguent les animatrices, commettent des violences… Calibré pour accueillir douze mineurs de 13 à 16 ans, la structure a réduit sa jauge à sept. Au vu des profils des enfants, souvent délinquants réitérant malgré leur jeune âge et, surtout, déjà très fracassés par la vie, ce réajustement s’avère insuffisant.



Situé à plus de 30 mn de la première ville, ce CEF peine à s’ouvrir sur l’extérieur et à motiver les professionnels.

« Depuis sa création en 2010, le CEF de Pionsat est la caricature du plus extrême dans ce type d’établissement, isolé géographiquement à 35 minutes de Montluçon et opaque dans son fonctionnement, constate Carlos Lopez, éducateur syndiqué au SNPES-FSU de la protection judiciaire de la jeunesse. Quand un projet ne tient pas la route, les professionnels diplômés refusent d’y travailler, donc tu recrutes des gens peu formés, qui eux mêmes ne restent pas parce que le cadre est impossible à tenir. » Au vu des derniers événement découverts dans la presse, le syndicat demande à nouveau la fermeture de l’établissement et la réorientation des financements vers d’autres modes d’accompagnement milieu ouvert ou en foyers.

Des jeunes déjà fracassés par la vie

Au CEF de Pionsat, l’enseignante a démissionné en juin 2021 et ne sera remplacée qu’en septembre 2022. Comment dès lors répondre au cahier des charges qui justifiait, en 2002, la réapparition de ces lieux d’enfermement pour mineur ? En effet, le modèle de cette alternative à l’incarcération repose sur la mise en oeuvre d’un accompagnement renforcé éducatif et pédagogique pendant six mois. Ce cadre strict mais bordant devait favoriser la réinsertion, notamment en s’ouvrant dès le troisième mois à des activités tournées vers l’extérieur. Là, on est loin du compte puisque même en interne, les jeunes de 13 à 16 ans, soumis à l’obligation de scolarité, n’ont plus d’enseignement.

Sur ce poste, le Groupe SOS renvoie à la responsabilité de l’Éducation nationale, pour les autres à un bassin d’emploi compliqué, conjugué aux difficultés actuelles de recrutement dans le social. « Il y a un absentéisme endémique dans cet établissement et nous peinons à trouver des remplaçants, admet Philippe Caumartin, directeur général adjoint en charge de la délinquance juvénile. Depuis que nous sommes en gouvernance début 2016, on a eu des périodes d’amélioration sensible puis, soit à cause d’un incident ou d’une augmentation du nombre de mineurs accueillis, des séquences où la situation se redégrade. Quand on ne parvient pas à stabiliser une équipe de direction, ça ne favorise pas la qualité de vie au travail, la cohésion d’équipe, la réflexion sur le projet d’établissement. L’instabilité génère de l’instabilité. »

Plus enseignement depuis juin 2021

Face à ce constat, le Groupe SOS et la direction territoriale de la protection judiciaire de la jeunesse se donnent rendez-vous sur place une fois par mois pour trouver des solutions dans le cadre d’un comité de suivi. « Nous avons déjà connu des établissements qui pouvaient avoir des difficultés, de part cette expérience nous considérons objectivement que le CEF de Pionsat peut continuer et améliorer les services qu’il rend aux mineurs qui lui sont confiés, affirme Philippe Caumartin. On a une période particulièrement compliquée liée à l’objectif fixé avec la PJJ de remonter les effectifs, car depuis quelque temps le nombre de mineurs accueillis était à un niveau insatisfaisant. » En attendant, le CEF de Pionsat n’accueille plus que trois mineurs, les autres étaient en fin de prise en charge ou ont été réorientés, et les admissions sont gelées. Le Groupe SOS ne peut actuellement se prononcer sur la suite, mais cherche à recruter des professionnels diplômés.

Un CEF représente un budget d’environ deux millions d’euros par an, avec une dotation d’État de plus de 600 euros par jour et par jeune. Actuellement, ils sont au nombre de 52 en France et beaucoup souffrent de dysfonctionnements, qui conduisent parfois à des fermetures administratives. Malgré un coût élevé et des difficultés récurrentes, le gouvernement persiste dans sa volonté d’en ouvrir vingt de plus. Le Groupe SOS, déjà gestionnaire de cinq CEF, a emporté six appels à projet. Si lors de sa création, les défenseurs de cette forme d’enfermement y voyaient une manière d’éviter l’incarcération, peu à peu, le cadre s’est durci et l’accompagnement dégradé. Certains centres éducatifs fermés tendent à se satisfaire de maintenir à l’écart une population, perdant de vu le E du sigle.
Myriam Léon

1 : Le centre éducatif fermé de Pionsat (Puy-de-Dôme) sous les critiques après un fait divers

2 : En Auvergne, « les dingueries » d’un centre pour mineurs délinquants

A lire dans Lien Social N°1120 : Du rififi dans les centres éducatifs fermés